De quoi sera fait demain?

De quoi sera fait demain?

2020-05-22 2 Par Éric Laliberté

Dans le contexte actuel, vivre est devenu angoissant pour plusieurs. Les statistiques sont nombreuses à dévoiler ce drame qui frappe de plus en plus de jeunes[1]. Comment expliquer que la vie soit si complexe et génère autant de stress? Est-ce seulement le fruit de la pandémie? Apparemment, non! Cette difficulté était bien présente, avant même que l’on soit confiné. Le confinement ne l’aurait qu’accentuée.

Depuis le début de ce millénaire, il est observé qu’un nombre croissant d’individus souffre du Trouble de l’Anxiété Généralisée (TAG). Michel Dugas[2], directeur au département de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais, y consacre ses recherches depuis une trentaine d’années. Face à ce trouble, il observe quatre composantes au TAG : l’intolérance à l’incertitude, la surestimation de l’utilité de s’inquiéter, les difficultés de résolution de problèmes et l’évitement cognitif. Parmi celles-ci, l’intolérance à l’incertitude est, à son avis, un facteur clé du TAG.

Difficulté fort répandue en Amérique du Nord, celle-ci génère des troubles qui vont du simple mal être, à la dépression, en passant par la paralysie. En effet, l’anxiété saisit de telle manière que certaines personnes en viennent à être incapables de faire quoi que ce soit. Il en résulte des comportements qui vont de l’hypocondrie, à l’hypercontrôle, en passant par le banal « appelle-moi en arrivant » et qui, en s’accumulant les uns aux autres, contribuent à augmenter le taux d’anxiété jusqu’à développer des comportements pathologiques.

Pour traiter cette « allergie à l’incertitude », Michel Dugas préconise un traitement simple qui permettrait de traverser ce trouble en développant sa capacité à tolérer l’imprévisible, tout en relativisant ses certitudes.

Diverses observations de la recherche dans le domaine[3] recommandent d’ailleurs la mise en place de conditions simples et favorables à la rééducation du TAG. La lecture de ces recommandations me permet de proposer l’exercice pèlerin comme solution potentielle.

En effet, le pèlerinage de longue randonnée semble offrir un contexte favorable à la gestion de l’intolérance aux incertitudes, liée au TAG, et pourrait s’avérer une pratique bénéfique. Voici donc une réappropriation, en contexte pèlerin, de ces quelques recommandations.

Développez votre créativité. Renoncez aux comportements sécurisants et augmentez votre capacité à improviser. Les manies développées pour se rassurer ont pour effet d’augmenter le taux d’anxiété plutôt que de le réduire. Plus vous recherchez la sécurité, plus vous devenez anxieux! Sur les chemins de pèlerinage, l’imprévu est toujours au rendez-vous. Qu’il s’agisse de la météo, d’un hébergement fermé ou d’un troupeau de moutons vous barrant la route, tout peut arriver. Ainsi, peu importe les imprévus, le pèlerin a tôt fait de développer sa capacité à improviser et son expérience de la route le rend optimiste face à l’inattendu.

Prenez soin de vous au quotidien. S’occuper de soi, faire de l’exercice quotidiennement, s’accorder du repos, recevoir un massage, faire un bon repas, avoir un cercle d’amis avec qui il fait bon se retrouver, font partie des éléments réducteurs d’anxiété. À force de marcher et de se colletailler au chemin, le pèlerin en vient rapidement à cette évidence : s’il ne prend pas soin de lui, il n’ira pas très loin! Aussi, découvre-t-il rapidement cet art de vivre qui rend le chemin si agréable : savoir s’arrêter et plonger les pieds dans le ruisseau évite bien des maux, festoyer avec la communauté du chemin rend le cœur joyeux, goûter les plaisirs du corps en action qui s’endort épuisé à la brunante, font les délices de l’expérience pèlerine.

Valorisez la différenciation. À recherche du toujours pareil, on finit par s’inquiéter du moindre changement! Pourtant, c’est dans la différenciation que chacun peut s’épanouir. Même les schtroumpfs l’ont compris! S’il n’y avait que des cordonniers, on manquerait de couturiers et on se promènerait le cul à tout vent. C’est dans la distinction que l’humain s’épanouit, par ce qu’il apporte de différent. Cessez de vous comparer, soyez différent! Aussi, rien de plus coloré qu’un chemin peuplé de pèlerins. Loin de s’y enfermer, tous s’y côtoient dans un heureux mélange mariant modernité et tradition, sécularité et religion.

Donnez du sens à votre vie! Avoir un objectif, une passion, un projet, s’impliquer socialement, développer un talent, exercer un art de vie qui soit épanouissant, sont autant d’activités qui donnent du sens à la vie. Sur les chemins de pèlerinage, loin de son quotidien, il n’est pas un instant où le pèlerin ne soit interpellé par cette question : où vas-tu à vivre ainsi? Le quotidien de ses pas lui rappelle sans cesse combien sa vie manque parfois de sens et qu’il suffit de se désencombrer pour en trouver un.

Soyez vivant! La vie est un perpétuel changement et l’humain est bien plus résilient qu’il ne le croit. À quoi sert de vouloir tout figer dans un moule de béton? Plus forte que tout, la vie vient à bout de tout! La fleur trouve sa voie, glorieuse, au cœur de cette fissure dans le bitume. L’arbre s’accroche, hardiment, aux parois de cette falaise. Le ruisseau coule, fougueux, sur ce terrain ardu. Plus forte que tout, la vie s’adapte, se transforme, s’insinue, se replie, se déplace, bouge, constamment. Vivant parmi les vivants, le pèlerin se fait mouvement. Ses pas se nourrissent de cette constance, alors qu’il traverse les moments les plus sombres. Dans cette noirceur, l’expérience lui parle et lui murmure qu’il y aura toujours de la lumière au détour du chemin.

Aussi, rien ne sert de s’inquiéter en cherchant à prévoir de quoi sera fait demain. Chaque jour s’invente de lui-même. Il suffit d’accueillir sans résister; de couler avec le flot de la vie; d’agir dans le mouvement; de laisser tomber ses certitudes blindées de jugements et de condamnations.

Car plus que tout mouvement, la Sagesse est mobile[4].

Éric Laliberté


[1] Henri Ouellette Vézina. Coronavirus: l’anxiété des jeunes inquiète, les préjudices nombreux. Journal Métro. 21 mai 2020. https://journalmetro.com/actualites/national/2451076/coronavirus-anxiete-jeunes-prejudices/.

[2] Michel Dugas. 2018. Le traitement de l’anxiété généralisée: Plus on en sait, moins on en fait [The treatment of generalized anxiety: The more we know, the less we do]. Canadian Psychology/Psychologie canadienne, 59(2), 126–131. https://doi.org/10.1037/cap0000144.

[3] Cet article s’inspire entre autres des recommandations du professeure Jelena Kecmanovic, de l’Université Georgetown : https://theconversation.com/cinq-conseils-pour-survivre-dans-un-monde-de-plus-en-plus-incertain-125766.

[4] Livre de la Sagesse 7,24.