La souffrance – Une messagère de passage

La souffrance – Une messagère de passage

2018-12-14 0 Par Brigitte Harouni

De quelle souffrance cela fait-il symptôme?
Michel De Certeau

Un pèlerinage, qu’il soit dans le Languedoc ou en Espagne, en Gaspésie ou sur l’île de Shikoku, tout aussi bucolique qu’il soit, ne peut être considéré comme des vacances. Il y a toujours cette part de souffrance omniprésente qui l’en distingue. Une souffrance qui peut se présenter sous diverses formes, à des degrés d’intensité variables. Mais une souffrance malgré tout. Étrangement, je dirais, une souffrance nécessaire. Tant qu’elle est raisonnable. Une souffrance qui permet, à celui qui y est attentif, de cheminer intérieurement. Une souffrance qui met en lumière certaines de nos zones sombres soigneusement claquemurées dans un coin de notre être.

Ampoules, tendinites, maux de genou, de hanche, fatigue musculaire. Mais aussi, inconfort du changement perpétuel, stress de l’inconnu, angoisse de solitude, peur du manque. Que la souffrance soit physique ou psychologique, elle est un signal. Un message. Je dirais même, un message bien personnel. Car même si d’autres pèlerins vivent également une part de souffrance, leur douleur s’actualisera différemment. Alors pourquoi ce mal de genou plutôt qu’un mal de dos? Pourquoi la vie en dortoirs dérange certains mais en séduit d’autres? Pourquoi avoir peur d’être seule alors que tant de gens recherchent ce temps de paix solitaire? Pourquoi être la seule personne du groupe à avoir fait des tendinites sous les pieds? Que m’exprime ma douleur?

Ce signal est une alarme qui indique qu’une limite vient d’être dépassée. Quelque chose doit changer. Être à l’écoute de ce signal ne veut pas simplement dire de le soigner, le faire taire pour qu’il disparaisse. Cela laisserait croire que seul le corps souffre. Cela supposerait une distinction, une séparation, entre le corps et l’esprit, alors que c’est mon être qui souffre. Tout mon être. Au-delà de ce signal, c’est un message physique qu’il nous faut décoder. Une part de moi s’exprime. Face à cette souffrance, je peux soit l’endurer, considérant la douleur comme étant normale, comme étant un incontournable de la réalité pèlerine, soit m’en servir pour apprendre, pour m’apprendre et cheminer intérieurement. L’écouter. Me questionner. Remonter à sa source. Identifier cet élément personnel qui génère un comportement qui, lui, occasionne ce mal. Quelle limite ai-je franchie? Et pourquoi l’ai-je excédée? Qu’est-ce que ce mal dit de moi? Quel sens lui donner?

Étymologiquement, le mot souffrance vient de deux mots latins : « sub », préfixe signifiant « en dessous » et « ferre », qui veut dire « porter ».  La souffrance est un support. Lorsqu’on s’en fait une alliée, « un supporter », elle devient une assise, un appui qui nous encourage à aller de l’avant, nous fait grandir psychologiquement, affectivement, spirituellement. Prendre le temps de se regarder en franchise et en vérité, considérer le message avec discernement et lucidité, c’est se défaire de certains enfermements qui génèrent des souffrances. C’est prendre soin de tout son être. C’est entamer un changement pour gagner en liberté.

Le pèlerinage, c’est bien plus que des vacances ou une longue randonnée sportivo-touristique. C’est un voyage à l’intérieur de soi, un regard sur le parcours de vie réalisé, l’opportunité de reprendre son souffle pour passer à une nouvelle étape. En prenant appui sur sa souffrance, c’est l’occasion d’aborder une transformation. Tout comme le grain de blé mis en terre doit mourir pour devenir une tige de blé, comme la chenille doit disparaître pour devenir papillon, il n’y a pas de croissance sans nouvelle naissance et pas de nouvelle naissance sans mort à ce que nous sommes. Pèleriner, c’est être un peu moins à la fin que ce qu’on était au début… un pas à la fois.

 

Brigitte Harouni