Où sont mes flèches jaunes?

Où sont mes flèches jaunes?

2023-12-01 2 Par Brigitte Harouni

Une fois que l’on est relié à sa force intérieure, il n’y a pas de fin aux merveilles du voyage.

Deng Ming-Dao

Sur les chemins de Compostelle, l’itinéraire se déroule clairement devant moi. Pèlerine, je marche sans avoir à me poser de question sur cette voie pré-tracée. Ma destination : la cathédrale de Saint-Jacques. Ma direction : suivre les balises ornées de coquilles et de flèches jaunes. Après des semaines à pèleriner ainsi l’esprit en paix, le retour à la maison apparait comme un moment de déroute. La route préétablie a disparu laissant place à la confusion et au questionnement. Comment être certaine maintenant que la décision prise concorde avec la bonne direction? De quoi sont faites les « flèches » qui oriente ma vie quotidienne? Et surtout, vers où pointent-elles?

Malgré la présence de balises sur le chemin compostelan, nombreuses seront les décisions que prendra le pèlerin chaque jour. Comment choisit-il l’auberge où il passera la nuit? Le lit dans lequel il dormira? Comment détermine-t-il le temps et le lieu pour faire une pause? Ce qu’il mangera et en quelle compagnie? Qu’est-ce qui guide ses choix de compagnons de route? Ses temps de solitude? Toutes ces décisions sont autant de petites flèches jaunes qui indiquent l’orientation unique de la vie de chaque pèlerin. Contrairement aux balises du chemin, qui sont extérieures, observables et tangibles, ces flèches-là sont intérieures, imperceptibles, guidées par des ressentis, des émotions, des sensations qui influencent la prise de décision.

Ce processus décisionnel se fait bien souvent à l’insu de la personne, dans les coulisses de son être. Pour le pèlerin qui désire mettre en lumière ces indices qui donnent l’orientation à ses pas quotidiens, un temps de discernement s’impose. Un temps d’arrêt, si court soit-il, pour observer les mouvements intérieurs qui le traversent. Et les questionner : vers où pointe-t-ils? Car tout comme avant de partir marcher un chemin, chacun a pris le temps de planifier son séjour afin qu’il corresponde à ses aspirations, il en va de même pour le pèlerin de vie qui désire vivre en cohérence avec ce qui l’habite.  Ainsi, avant de poser une action, il est essentiel de savoir vers où se diriger. Pour le pèlerin de vie, la question cruciale se pose : Quel est mon sanctuaire? À quoi suis-je appelé? Qu’est-ce que je désire vivre? Comment je désire vivre?

Dans la complexité de la vie, une multitude de « flèches » externes dirigent nos pas : normes sociales, habitudes familiales, règles de conduite, conventions et règles de convenance. Alignées le long des chemins fréquemment empruntés, ces lignes directives exercent une pression considérable sur chacun et incitent à un certain conformisme alors même que chaque individu est intrinsèquement unique. Se mettre à l’écoute de ses « flèches » intérieures demandera alors assurément beaucoup de finesse dans le discernement, de franchise envers soi-même et d’audace dans l’affirmation de soi.

Même si en apparence, sur le chemin de Compostelle, tous allaient vers un même lieu, chacun traçait pourtant intérieurement une trajectoire qui lui était propre. Au retour à la maison, c’est sur cette route toute personnelle, et en dépit des influences extérieures, que chacun doit continuer d’avancer. Les « flèches » intérieures, composées de ressentis, d’intuitions et de désirs profonds, constituent une boussole personnelle que chacun est appelé à consulter pour naviguer sur l’océan de la vie. C’est dans cette écoute attentive, espace du discernement, que chacun peut, malgré les vents changeants et les marées de l’existence, garder le cap sur la destination qu’il s’est fixée.

Brigitte Harouni