Entre cheminement et spiritualité

Entre cheminement et spiritualité

2024-04-26 0 Par Éric Laliberté

L’expérience pèlerine dépasse la simple randonnée, le voyage touristique ou l’épreuve sportive. À travers ces déplacements, diverses dimensions de notre humanité sont sollicitées. Si la conscience du corps est mise à fleur de peau par le climat, l’endurance ou la promiscuité, nos sens sont également mis en éveil dans leurs aspects relationnels. Par eux, je suis mis en route!

Une expérience sensible

Alors que 2024 verra les plages de Normandie se transformer en lieux de pèlerinage commémorant les 80 ans du débarquement, il est important de souligner combien le pèlerinage agit au-delà du geste et des lieux. L’expérience les dépasse largement pour saisir l’être de l’intérieur. Plus qu’une visite, qu’un acte de mémoire ou qu’une ascèse, le pèlerinage agit sur un plan qui bouscule le flot tranquille de nos vies : il met en relation, crée des liens – hors de nos routines quotidiennes – en offrant de nouveaux lieux à nos vies. Ce faisant, il conduit vers un ailleurs de l’être, dans un relationnel renouvelé par plus d’acuité.

Toutefois, en sortant de nos structures habituelles, l’expérience pèlerine offre de nouveaux lieux, de nouveaux points, à nos vies. L’expérience élargit nos horizons et donne à voir au-delà du cercle restreint des gestes coutumiers. Elle élargit nos compétences, nos consciences, en nous bousculant par la rencontre de nouvelles personnes, par la traversée de nouveaux lieux.

Faites de relations, nos vies se tracent comme des dessins à numéros. Nous en relions les points, les lieux, de manière récurrente en repassant continuellement aux mêmes endroits, sur les mêmes souvenirs, en effectuant les mêmes parcours, rencontrant les mêmes personnes. Nous sommes des êtres routiniers! Loin d’être un mal, cette manière de faire développe nos habiletés et nous rapproche de ceux et celles que l’on fréquente.

Cet autre qui favorise le cheminement

Dans ces déplacements, je suis façonné par la rencontre de l’autre. En visitant les lieux de l’autre, je me découvre dans l’espace de la rencontre. Sans cet autre, il n’y aurait que du même, du pareil à soi-même. L’autre manifeste la différence. Il permet de se reconnaitre par l’écart qu’il crée. En effet, comment reconnaitre une tâche bleue dans le bleu du ciel? Ce n’est que par effet de distinction qu’il est possible de la reconnaitre. Par conséquent, l’autre, dans sa singularité, offre la possibilité de se déterminer. C’est-à-dire d’explorer les frontières de ce que nous sommes pour mieux nous situer. Ce qui est différent, étrange, déclenche le questionnement, met en marche et interroge nos manières d’être.

Or, s’il y a cet autre qui partage ma route, ici et maintenant, il y a aussi cet individu qui me parle à travers le temps. C’est ce que vivront, entre autres, les pèlerins sur les sites du débarquement de Normandie. Prendre contact avec cette histoire et ses acteurs ne laisse pas indifférent. Tout de l’autre a le potentiel de remettre en question en offrant de nouveaux lieux à nos vies. Sur la base de ces rencontres, le dessin à numéros du parcours de nos vies se trouve reconfiguré et élargit.

Cet autre, qui surprend, se manifeste souvent dans des lieux qui nous étaient inconnus. L’effet de cette rencontre trouve alors le moyen de se faufiler par les fissures de nos vies et de nous traverser. C’est bien connu, nous sommes des êtres poreux! Toute notre humanité s’élabore sur ces traversées. Les sens en sont la principale porte d’entrée. Ces effets se fraient une voie dans le sensible de notre chair et se font parlants. Si parfois ils racontent le goût sucré et acidulé de l’orange, le frisson d’une brise fraîche, l’odeur du bon pain; ils racontent aussi des joies, des peines et des inquiétudes. Toute rencontre « me parle », se fait langage dans mon corps.

Reconnaitre la part spirituelle de l’expérience.

À l’écoute de ce qui parle en soi, il arrive de distinguer qu’il se dit des choses au-delà de l’expérience sensoriel. Comme une « petite voix » qui parle d’un autre lieu, malgré soi. On dit alors : « « ça » me disait de ne pas aller là, de ne pas lui faire confiance », ou encore « « ça » me disait d’entrer dans ce parc ». Le « ça » qui s’exprime dans ces moments agit comme une intuition. Il passe tel un léger murmure qui laisse un goût particulier : celui de la conviction profonde.

Au fil de l’expérience pèlerine, au contact de l’autre, il est ainsi possible d’apprendre à distinguer la voix de cet Autre qui se manifeste avec sagesse. Il est possible d’apprendre à en raffiner l’écoute en prenant le temps d’en apprécier le goût qu’elle laisse. Qu’il s’agisse d’un sentiment de paix, d’une humble assurance ou encore d’une conviction profonde, l’écoute de ces mouvements intérieurs autorise à se reconnaitre en vérité; hors de toutes prétentions humaines.

Éric Laliberté