Le jeu des contrastes

Le jeu des contrastes

2022-09-23 4 Par Brigitte Harouni

La clarté ne nait pas de ce qu’on imagine le clair, mais de ce qu’on prend conscience de l’obscur.

Carl Gustav Jung

On dit bien souvent que le pèlerin quitte sa demeure et son quotidien en quête d’un vivre qui lui soit meilleur. On tend à dire qu’il s’extirpe d’un contexte de vie inconfortable avec l’espoir de trouver ailleurs, au cours de ses longues pérégrinations, réponse à un malaise qui le taraude, à un questionnement qui tourbillonne sans jamais atterrir ou à un relent d’insatisfaction qui affadit le goût de sa vie journalière. Ceci laisse croire que toute personne qui pèlerine n’est pas heureuse dans son monde habituel, et qu’à son retour de pèlerinage, transformée par son expérience, elle chamboulera complètement son décor initial. Dans les faits, tout n’est pas totalement noir, ni totalement blanc.

S’il est vrai que chaque départ est initié par un désir de changement, par l’envie de se faire du bien, d’accéder à mieux que ce qui est présentement, cela ne signifie pas pour autant que ce qui est quitté n’est plus du tout appréciable. Mais comme pour toute bonne chose, il y a toujours place à une certaine amélioration. Le pèlerinage offre ce temps d’arrêt pour sortir du train-train qui s’est instauré, de cet espace où tout semble confondu tellement l’habitude l’a façonné. Tout y est tellement familier et tissé serré qu’il en devient difficile d’y voir clair. L’idée de tout quitter met en effervescence l’être du pèlerin. Cette bouffée d’énergie qui le ravigote et donne une nouvelle couleur à ses journées, met une première fois en évidence qu’un vivre autrement existe. Mais quel est-il? De quoi serait-il fait?

Dans cette marge artificielle qu’est le chemin, le pèlerin voit les choses sous un angle nouveau. Dans cette parenthèse de liberté, loin du cadre bien rodé et structuré de son monde de connus, il est déstabilisé. Il s’extasie et se fâche, savoure et souffre, rit et bougonne. Les contrastes sont marqués et marquants. Il se délecte de certaines facettes de cette vie de nomade et regrette profondément certains aspects de sa vie antérieure.  Dans ce jeu des différences, le pèlerin distingue avec plus de clarté ce qui l’identifie et précise ce qu’il attend de la vie.

Cet effet de contraste continue de se jouer lors du retour à la maison. Alors que le voyage semble terminé, l’expérience pèlerine, elle, se poursuit. La mise à distance de sa vie, l’absence et le manque ressentis font ressortir avec plus de vivacité les couleurs des diverses composantes qui forment la mosaïque de sa vie. Déjà, sur le chemin du retour, une hâte, une excitation, habite le pèlerin. La simple idée de retrouver certains éléments de son univers personnel le fait frétiller de joie. Il se réjouit à l’avance du plaisir de les ravoir à nouveau auprès de lui. Mais, en même temps, son estomac se noue et des tensions se ressentent en pensant que certaines facettes de sa vie seront également prochainement présentes à lui. Le sentiment de les retrouver le tiraille et le torture. La mise en relief est manifeste. En se rendant attentif à ces mouvements intérieurs, le pèlerin discerne la lumière qui se fait en lui. Ce qu’il désire ou ne désire plus devient plus net, plus clair.

Le pèlerin, comme nous tous, aspire à une vie toujours un peu plus heureuse, un peu plus ajustée à la personne qu’il est. Nul besoin de partir marcher des kilomètres durant pour souhaiter tendre chaque jour davantage vers un peu plus de bien-être, mais l’expérience pèlerine accentue et facilite l’exercice de discernement. Ainsi, la vie que nous menons est généralement déjà bien savoureuse. Nous avons travaillé durant toute notre vie en ce sens! Mais, comme tout est en perpétuel changement, … comme le charpentier qui trouve toujours quelque chose à rénover ou à restaurer sur sa maison, comme le jardinier qui entretient soigneusement son coin de potager, comme l’oiseau qui parfait chaque année son nid, comme l’escargot qui agrandit graduellement sa coquille, …il nous faut continuer d’œuvrer pour nous assurer que la vie demeure à notre goût.

Brigitte Harouni