Prenez garde à votre manière de marcher!

Prenez garde à votre manière de marcher!

2022-01-28 2 Par Éric Laliberté

Certaines marches ont la faculté de nous faire plonger dans nos profondeurs. Par le rythme et la durée, elles ont cette puissance introspective qui font descendre aux portes de l’être. Lieu d’attention, elles invitent à écouter les mouvements intérieurs qui orientent chacun de nos pas : qu’est-ce qui me fait avancer? Qu’est-ce qui me donne de l’élan? Pas seulement sur le chemin, mais dans la vie aussi!

Bien plus que déplacer, la marche agit comme manière de passer et est un puissant indicateur de la manière dont je construis des liens et me mets en relation. À travers mes pas, je peux découvrir ce qui m’attire ou m’éloigne des fondements qui habitent mon cœur. Manière de lire le chemin, chaque pas me parle de ce qui me met en marche. Ils parlent de mes travers et de mes hardiesses, de ce qui m’attire et donne du goût à ma vie. Constructeur de liens, dans l’espace et dans le temps, les pas sont tissés de mémoire et de désir : car ils évoquent, tout autant qu’ils sont attirés!

Ainsi, si je marche, c’est que je fais une certaine lecture du chemin. Avec tous mes sens, avec tout ce que je suis, je lis et lie (au sens de lire, mais aussi de lier) les différents éléments de la route qui se présente à moi. Ce faisant, je m’inscris dans son histoire, orienté par ma mémoire et mes désirs qui se font les interprètes du chemin par les effets qu’ils suscitent en moi.

Comme on associe les mots d’une phrase pour en tirer du sens, je relie les éléments du chemin pour en tirer une trajectoire signifiante, éclairé de ma mémoire et orienté par mes désirs. En effet, si je passe de A à B, c’est que j’en ai évalué les possibilités en me référant à mon expérience ou que mon désir me pousse à m’y aventurer. Ce sera alors pour : rejoindre un groupe d’amis, faire une pause près d’une fontaine, éviter certaines personnes, visiter un lieu qui m’interpelle animer du goût de la découverte.

L’élan qui conduit de l’un à l’autre est alors tout aussi signifiant et parle tout autant de moi. Si parfois je ne fais que suivre le fil de l’histoire, à d’autres c’est ma curiosité qui est piquée ou mes craintes qui sont avivées. Souvenirs et désirs sont alors des moteurs qui incitent à faire des choix; par le goût (bon ou mauvais) qu’ils évoquent ou par l’espérance qu’ils suggèrent. L’être en marche exprime ainsi une manière de vivre qui le révèle à lui-même. Que ce soit par sa manière de couper au plus court ou de faire des détours, de s’arrêter ou de sprinter, toutes ces manières de tisser des liens révèlent une manière d’aborder la vie qui s’est construite sur la mémoire et les désirs qui opèrent des liaisons en moi… parfois jusqu’à me ligoter et m’en faire prisonnier.

D’où me vient ce goût? Qu’ai-je perçu sur ma route pour faire ce détour? Comment se fait-il que je me retrouve toujours dans des situations similaires? Qu’est-ce qui suscite en moi cette émotion? Ce sentiment? D’où me vient cette angoisse, cette urgence, cette joie soudaine?

En toute lecture « mémoire » et « désir » jouent de leur dynamique et font marcher; en nous ramenant souvent sur des terrains connus intérieurement. Or, si la mémoire peut s’avérer une alliée, dans la mesure où elle fait bénéficier d’une expertise quand elle invite à la prudence ou rassure, elle peut cependant se révéler trompeuse et engendrer des peurs inutiles qui vont désorienter. On dit bien : « chat échaudé craint l’eau froide »! Aussi, ai-je conscience de cette mémoire qui oriente mon chemin? Toutes ces règles apprises, mémorisées, intégrées, qui disent qu’il faut, que je dois, que c’est mieux… de passer par là!

Portez attention. Ces règles de lecture se manifestent à travers des traits culturels ou familiaux qui ferment la voie à certains chemins de vie ou encore par des expériences qui ont laissé des traumatismes. La mémoire, tout comme un désir désordonné (par dépendances ou excès), peut affecter notre manière de créer des liens, de lire le chemin, en créant de fausses interprétations ou en conduisant là où on ne veut pas aller. Désir de reconnaissance, de liberté, d’être aimé, de performer, d’être entendu; tous ces désirs, parfois refoulés, incitent à aborder le chemin d’une certaine manière et laissent peu de place à l’autonomie.

Ainsi, prenez garde à votre manière de marcher. Lorsque vous posez le pied, peu importe la situation, observez le chemin intérieur qui vous conduit à faire ce choix. S’il est en résonance avec les fondements de votre vie, vous le reconnaitrez par la saveur qu’il aura. Ce sera alors un pas de plus vers la vérité.

Bonne route!

Éric Laliberté