Noël, une invitation à naître libre!

Noël, une invitation à naître libre!

2021-12-24 2 Par Éric Laliberté

À l’origine, Noël est l’histoire d’une naissance. Elle raconte même l’histoire d’une naissance virginale; une naissance qui aurait eu lieu, apparemment, sans relation sexuelle. C’est fort! Mais, est-ce bien de cela dont il est question? Pour bien saisir l’enjeu de ce récit, il est nécessaire de ne pas tomber trop rapidement dans le miraculeux. Allons plutôt voir ce qu’il donne à entendre et à quelle célébration il invite, encore, aujourd’hui.

Le récit de la Nativité, s’il parait troublant sur le plan social et scientifique, ne peut cependant s’arrêter là. Son but n’est pas de situer dans la véracité des mots de ce qu’il dit, mais dans l’expérience qu’il raconte et doit être entendu comme tel : un humain est né de manière virginale, et c’est là toute l’originalité de cette histoire. Or, un ensemble de facteurs semblent concourir à la virginité de cette naissance, des facteurs qui vont au-delà des simples fonctions biologiques.

Pour bien saisir, retenons que ce qui est vierge est exempt de « quelque chose » et n’a pas été atteint par ce « quelque chose ». Ce qui est vierge n’a pas été fécondé, ne porte pas de fruits. On dit d’ailleurs : une page vierge, un disque vierge, une forêt vierge, pour dire que rien n’y est encore inscrit, n’y a laissé de traces. Or, l’histoire de la Nativité s’accomplit précisément dans cet espace : « en l’absence de quelque chose ». C’est l’histoire d’un couple sans prétention, qui donne naissance à un enfant sans prétention, dans un environnement dont les seuls témoins sont des gens sans prétention. Sans prétention, au sens où ils ne revendiquent rien, ne réclament rien. Les parents accueillent la nouvelle, seuls, en toute liberté, chacun de leur côté. Ils ne consultent personne sur le bienfondé de ce qui arrive. Il y a absence d’influences. Les bergers, comme les mages, font confiance à ce qui pourrait sembler de la folie. Des premiers il est dit qu’ils ont entendu des « anges », des seconds qu’ils ont suivi une « étoile ». Il y a absence de rationalité.

Cette naissance s’effectue ainsi à l’écart, hors des conventions sociales, loin de tout, dans une étable, parmi les rejetés et les étrangers. C’est donc dans ce cadre qu’il faut entendre la virginité dont il est question. Il y a absence de ce que l’on pourrait réclamer comme minimum acceptable : pas de confort, pas de rationalité, pas de dignité, pas de conventions sociales. Comme s’il le récit nous disait que cela n’est pas fécond pour l’humain. Dans cet espace s’ouvre alors une page blanche, une page vierge. La virginité qui fait l’enjeu de ce récit vient préciser que tout ce qui manque à cette histoire, tout ce qui en est absent et que l’on réclame quotidiennement, ne détermine pas la personne. Au contraire, ce qui la détermine se situe ailleurs et semble même provenir, de cette absence, de cet espace vierge de toutes prétentions. « Quelque chose » d’autre sera fécond pour l’humanité.

Pour aller plus loin, chose remarquable de ce récit, toutes les personnes présentes – les parents, les bergers, les mages, ont cru en cette histoire. C’est d’ailleurs sa force! Ils choisissent d’y croire, même s’il n’y a rien de rationnel dans ce qui arrive. La force de leur croire se situe ailleurs. Elle les renvoie à eux-mêmes, dans un choix libre. Encore une fois, il y a absence. Mais cette fois-ci, il s’agit d’absence de soupçons, de doutes. C’est hors de tout doute qu’ils acceptent d’avancer sur ce chemin et qu’ils se mettent en marche. Comme si cette absence assurait la virginité, la liberté, de celui qui est à naître et qu’il ne restait plus qu’à y croire pour qu’elle advienne. La virginité, celle qui libère de tout fardeau et rend libre, ne serait ainsi donc pas à faire mais à croire. C’est en y croyant, à l’écart des repères sociaux usuels, des conventions, avec un brin de folie si on en croit le récit, hors du cadre qui voudrait le définir d’avance, que l’humain peut naître libre.

Sous cet éclairage, l’histoire de la Nativité raconte alors la naissance d’un être libre et laisse caduque tout enjeux biologiques. La virginité parle de liberté comme s’il s’agissait de tout effacer ce qui a été appris. Effacer tout ce qui pourrait entacher l’histoire humaine et l’emprisonner. Elle ouvre un espace qui donne place à un humain libre de toutes prétentions sur lui; un humain qui aura le potentiel et le privilège d’agir depuis le lieu de cette liberté, toute sa vie.

Depuis 20 ans, j’ai croisé bien des pèlerins qui entreprenaient divers chemins pour être libérés d’un poids qu’ils portaient et retrouver une humanité qui leur échappait; moi le premier. Par la mise à l’écart qui s’effectue lors des pèlerinages, nous sommes entrés dans l’espace « vierge » du chemin en y trouvant un lieu de confiance où pouvait s’accomplir cette croyance. En quittant une histoire de vie parfois difficile ou simplement par la mise à distance d’une vie convenue, les pèlerins trouvent dans le chemin un lieu qui leur permet d’exister librement. Par définition, pèlerins et pèlerines croient dans l’espace vierge du chemin comme espace qui se renouvelle continuellement; un espace qui ne les réduit pas à leur passé, ni à leur histoire familiale, ni à leurs blessures. C’est toutefois dans le regroupement des pèlerins, dans l’accueil mutuel de chacun, dans l’hospitalité pèlerine, que la possibilité de naître de nouveau est offerte et devient possible. Nous sommes coresponsables de la virginité de chacun, c’est-à-dire de la liberté de chacun. L’expérience du chemin devient alors une histoire de Nativité pour tous ceux et celles qui s’y engagent.

Ainsi, l’histoire de la Nativité écoutée dans ce qu’elle raconte, et non dans une recherche historique, laisse entendre la fête de Noël bien autrement. Loin d’être un mythe, elle raconte une aspiration bien humaine : celle de vivre en vérité, libéré des chaînes qui nous retienne, affranchi d’un cadre où l’on ne se reconnait pas. En nous situant hors des repères connus, hors des sentiers battus, hors des conventions, libéré de tout doute, elle rappelle et célèbre l’humain libre. Elle invite à « croire ensemble » en la virginité de chaque être, que cet espace existe en chacun de nous, qu’il est possible d’en faire un lieu fécond hors de tous doutes, de toutes influences et, enfin, qu’il est possible de favoriser « ensemble » cette naissance, comme sur les chemins de pèlerinage…

Bonne Nativité!

Éric Laliberté