Faire son chemin

Faire son chemin

2021-09-24 2 Par Éric Laliberté

Pour plusieurs faire son chemin signifie vivre sa vie, tracer sa route de manière singulière et particulière. Comme la danse prend forme à travers le corps du danseur, le « faire » dont il est ici question ne s’entend cependant pas comme une fabrication. Il s’agit plutôt d’une interprétation effective. Une interprétation « effective », car elle s’effectue sous l’effet de la musique et du rythme. Car c’est bien par effet que le danseur danse ou que le marcheur marche. « Faire son chemin » renvoie alors à danser sa propre interprétation de la vie; ceci tout en étant attentif aux effets de sens qui jaillissent de la rencontre entre marcheur et chemin.

Il faut cependant relever que faire « son » chemin, n’est pas faire « le » chemin.  Si le chemin prend forme, ce n’est pas parce que nous le fabriquons : c’est parce que nous le jouons de nos pas, dans une interprétation libre. Toute ma liberté est mise à l’œuvre par la possibilité de passer d’un lieu de la vie à un autre, selon ce que j’en ressens et le goût qui en émane. C’est là que se joue « mon » chemin, que se joue les notes de « ma » vie. C’est en moi qu’elles s’unissent pour former une mélodie.

Ainsi, s’il est question d’une vie à vivre, d’un chemin à faire, c’est qu’il est par conséquent question d’un chemin à effectuer. Effectuer, sous-entend rendre effectif, agissant. Si le pianiste suit la partition, c’est-à-dire le chemin de la musique, c’est néanmoins en la jouant qu’il l’accomplit. C’est sous ses doigts que les notes deviennent effectives, qu’il leur donne une voix; une voix toute particulière puisqu’il s’en fait l’interprète. Ce qui est ainsi effectué n’est pas « la » musique, mais « sa » musique. Personne ne joue du Mozart de la même manière. Même Mozart ne jouait pas du Mozart comme Mozart. Car Mozart faisait son chemin et il n’était jamais le même à chaque nouvelle interprétation. L’interprétation effective, celle qui vous remue de l’intérieur, fait advenir et transforme. Il ne suffit donc pas d’arriver, d’atteindre un lieu avec une certaine finalité, mais de faire son chemin, à sa manière en se laissant toucher par l’expérience, un pas à la fois. N’oublions pas qu’il suffit de 7 notes pour jouer toute une symphonie. Il suffit donc de très peu pour faire son chemin et tirer une interprétation de la Vie qui soit à sa mesure.

Mais tout ce travail demande du temps, de se faire l’oreille, de se faire attentif à ce qui parle en soi. Non pas attentif à la voix de l’ego, mais à cette parole qui me traverse et me révèle à moi-même. Celle qui me fait jouer « ma » musique et me fait marcher « mon » chemin.

Ainsi, il est vrai de dire qu’on ne se fabrique pas une vie – pas plus qu’on ne la choisit. La vie ne peut que se vivre et il convient de faire son chemin. Aussi, ce qui est fait, est fait. Or, il arrive qu’on fasse de fausses notes. On ne peut alors que se rependre et poursuivre son chemin en répétant et pratiquant son interprétation jusqu’à ce que sa vie sonne juste.

Éric Laliberté