Pèlerin, pourquoi marches-tu?

Pèlerin, pourquoi marches-tu?

2021-04-09 2 Par Brigitte Harouni

On ne peut rien réussir dans la vie si on ne prend pas de plaisir.

Olivier de Kersauson

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand je pense à aller marcher, il me faut me donner une intention de marche. Je vais rarement marcher sans but, si simple et modeste que soit ce but. Parfois, je choisis une destination ou un lieu spécifique qui m’attire tout particulièrement à ce moment-là. D’autres fois, je me fixe une distance à parcourir pour garder la forme. Tout dépend de ce que j’ai le goût de vivre par ma marche. Ainsi, je peux aller faire une marche le long du fleuve sur la piste cyclable, tout comme je peux sillonner les rues de la vieille ville, ou faire un sentier en forêt. Et, je peux aussi décider de marcher un certain nombre de kilomètres pour me rendre dans un petit bistro, à une crèmerie, à un point d’observation, ou chez une amie. Ou encore, je peux tout simplement partir marcher pour profiter du soleil et du ciel bleu, histoire de me dégourdir l’esprit. Marcher n’est à la base qu’un moyen de déplacement, un outil qui me permet de vivre une expérience particulière. Marcher devient un plaisir lorsque je le combine à un autre élément qui a du goût pour moi. C’est seulement alors que ma marche devient significative et savoureuse.     

En pèlerinage, j’aborde mes journées de la même façon. Chaque matin, je prends le temps de me donner une intention de marche. Je prévois m’arrêter dans tel village pour un premier café, diner au bord de la rivière, trouver un coin au sommet de la montagne pour faire une pause, ou visiter la boutique d’artisanat recommandée dans le guide. Cela donne de l’élan à mes pas, motive ma marche. Et si je suis fatiguée, je me planifie de plus longues pauses. Si la journée s’annonce difficile, je me permets d’écourter la distance prévue. J’aménage mon horaire pour que ma marche, mon déplacement, soit agréable. Car en pèlerinage, marcher demeure pour moi un moyen de transport. Ce n’est pas le cœur de l’expérience. Tout comme dans un road trip la voiture, tout en étant essentielle, n’est pas le voyage, la marche n’est pas le pèlerinage. Elle le permet. Il importe donc que la mécanique soit en bon état si l’on veut pouvoir jouir de la route. C’est ce que mon intention de marche me permet de faire : prendre soin de moi. En prenant chaque jour un temps d’arrêt pour discerner ce que je désire vivre de ma journée, je me mets à l’écoute de ce qui m’habite, tant au niveau physique qu’au niveau émotif. Mon intention de marche cherche à convenir à ce que je ressens afin que ma journée pèlerine me procure le plus grand plaisir possible, considérant la situation du moment.

Puis, après plusieurs jours de marche, vient un matin où, le corps maintenant rodé et endurci, le désir de prendre la route devient intrinsèque, comme inné. Reprendre mon sac à dos pour aller découvrir l’inconnu du chemin ne demande plus aucune motivation. Tant de kilomètres à savourer le plaisir du déplacement pèlerin qu’aujourd’hui tout mon être en redemande. Même après une bonne journée passée sur le chemin, je me surprends à aller prendre une marche dans les rues avoisinantes de mon auberge. Si l’appétit vient en mangeant, alors le plaisir de pèleriner vient en marchant. De marcheuse, je suis devenue pèlerine. Marcher est devenu une seconde nature qui fait désormais partie de mon nouveau mode de vie.

Toute personne qui a fait un long pèlerinage se rappellera, comme moi, s’être demandé à un moment ou à un autre de sa marche : « Mais pourquoi je me donne toute cette misère? » Marcher n’est pas le but. Et marcher sans but n’a pas de sens, donc pas de goût, ni de plaisir. Alors qu’est-ce qui donne si bon goût à l’expérience du pèlerinage au point de nous faire oublier tout ce que le corps à souffert en marchant?

Brigitte Harouni