Qu’entendez-vous par… donner?

Qu’entendez-vous par… donner?

2021-03-26 3 Par Éric Laliberté

Le chemin donne aux pèlerins avec générosité. Que ce soit une main tendue, une bouteille d’eau ou un repas partagé, le chemin est providentiel à plusieurs égards. Il est cette porte qui s’ouvre quand il n’y a plus d’espoir, ces bras inconnus qui accueillent quand la peine est trop grande. Par l’inattendu de ces gestes, le chemin opère de « petits miracles » là où nos attentes se sont essoufflées. Au plus fort de nos vulnérabilités, il fait craquer les endurcis et s’insinue par la brèche des cœurs rompus à l’exercice. Comme si pour recevoir en vérité, il fallait d’abord se vider de son trop-plein. Quel est donc ce don du chemin?

Le chemin de pèlerinage est l’une des instances qui permet de mieux comprendre toute la puissance du don qui s’opère dans la gratuité. Que ce soit par le réseau d’hospitaliers ou encore à travers la communauté du chemin, le pèlerin découvre le don au-delà de ce qui s’apparente au bon échange de services et n’entre dans aucune logique mercantile. Quand on a vu quelqu’un donner son chapeau par un jour de canicule ou prendre le sac d’une personne épuisée pour le déposer à l’auberge suivante, pour ensuite poursuivre son chemin sans demander son reste, on a vu toute la puissance du don. Le don s’opère sans rien attendre en retour. Ce qui est donné n’a pas de contrepartie. Ce qui est donné est constitutionnel d’un élan qui pousse en avant. Le don relève, fait grandir et rend libre.

Or, ce qui n’est pas donné est de l’ordre de l’échangé. Et si souvent cet échange est cordial, il attache cependant : « gratte-moi le dos et je gratterai le tien »; mais il peut aussi se faire violent et devenir : « œil pour œil, dent pour dent ». Ce qui semble alors être un « donné » est en vérité un « échangé », par riposte – coup sur coup – ou simplement pour ne pas sentir le poids de la dette : « je te dois bien cela après tout ce que tu as fait! ». Ainsi, ce qui s’effectue dans l’ordre du donné, ou « par un donné », nous déplace dans un ailleurs relationnel qui implique un non-retour : celui qui reçoit est libéré de toutes dettes. Donner en vérité rend libre, autant pour celui qui donne que pour celui qui reçoit.

Alors que faut-il entendre par donner? Dans quoi nous fait entrer cette logique du don qui fait en sorte que rien n’est reçu en retour?

Le don est pure compassion. Il n’y a pas d’échange possible. Le don passe. L’individu ne peut qu’être traversé par celui-ci. Il est alors conduit vers un ailleurs qui déplace tout son être en l’ouvrant sur une perspective relationnelle toute autre. Car ce qui est donné, en vérité, n’attache pas!

Dans l’éventualité d’échange de coups, entrer dans la logique du don implique le refus de riposter. On observe ainsi que ce qui s’effectue dans un « par donner » libère de l’escalade de la violence et de la souffrance.

Lorsqu’ils partent sur les routes, pèlerins et pèlerines se donnent aussi. C’est corps et âme qu’ils se lancent sur les sentiers, qu’ils s’offrent à l’expérience du chemin. C’est tout leur être qu’ils mettent en marche et l’élan qui les conduit à prendre la route appelle parfois à faire la paix avec certaines trames de leur histoire et c’est seulement « par un donné », pur et gratuit, qu’ils peuvent espérer emprunter ce chemin.

Et vous, qu’entendez-vous par… donner?

Éric Laliberté