Photo : trace d’émotion

Photo : trace d’émotion

2020-11-14 1 Par Brigitte Harouni

Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur.

Henri Cartier-Bresson

La photographie, cet art autrefois réservé aux adeptes talentueux, est rendue aujourd’hui plus accessible à tous. D’ailleurs, l’appareil photo n’est jamais bien loin, et le résultat est immédiat.  Le collectionneur d’instants fragiles et savoureux peut presque instantanément apprécier la qualité de sa prise. Ce capteur d’images peut aussi s’adonner sans limite à sa cueillette, son outil lui permettant une infinité de prises. Tout événement mémorable, instant précieux, incident marquant sera conservé, archivé sur cette nouvelle extension de la mémoire.

Ces tranches de réalité se complètent et se rassemblent pour tisser la trame d’un seul film; un film racontant la vie du photographe. Chaque photo parle de son auteur. Même invisible, le photographe demeure présent à travers l’image. Celle-ci invite à se mettre à la place du photographe, à voir avec ses yeux, à partager son point de vue et même à ressentir ce que cet instant lui a fait vivre. L’image reflète ce qui a eu bon goût pour lui au moment de la photo, ce qui l’habite fondamentalement, ce qui anime son désir de vivre. À travers son art, le photographe s’exprime. Il exprime une part de lui-même.  Chaque photo est une parcelle de lui.

En pèlerinage, les photos sont innombrables. Au terme de sa marche, le pèlerin aura fait plus de photos que de kilomètres! Tant de moments d’éblouissement qu’il désire retenir. Tant de souvenirs qu’il veut rapporter. Tout au long de sa route, il a croqué ce qui l’a interpelé, touché, percuté, attendri, fait sourire. Photos de chemins, de personnes rencontrées, de nature, d’horizons, d’architecture, d’émotions vécues, de moments intenses, de beautés, de couleurs….  Pour le pèlerin, l’enfilade des photos de son chemin est tout aussi symbolique et riche de signification que son journal intime. Mille mots ne suffisent pas pour exprimer une photo, car chacune d’elle est un bout de vie qui rappelle une expérience vécue que les mots ne peuvent exprimer avec justesse. Le clic sur l’appareil est le résultat d’un déclic, d’une connexion spontanée entre le monde intérieur du pèlerin-photographe et l’environnement extérieur. 

Conscient du temps qui passe, que le temps passé ne reviendra pas, d’un clic, le pèlerin immortalise l’éphémère de son présent. Mais pas n’importe lequel. Un instant choisi. Un instant qui a résonné en lui. Un déclic intérieur : un ressenti. Quand il y a émotion, il y a photo. Chaque photo est reliée à un sentiment qui déclenche le désir de fixer le présent pour le préserver et le posséder. La photo parle de cet instant précis qui a saisi le photographe, mais aussi de l’émotion qui a généré l’impulsion, l’a poussé à prendre la photo. Le geste relève de l’intuitif, de l’instinctif. Il fait fi des filtres de la raison. Le pèlerin-photographe est un émotif. Il regarde avec son cœur. Il capture des images qui ont un sens pour lui. À travers son album, la mosaïque de ses photos dévoile les profondeurs de son être : ses passions, ses intérêts, ses valeurs, ses désirs, ses besoins… tout ce qui le fait vibrer.

Revoir ses photos, c’est revenir dans le temps, pour recontacter l’instant passé qui a eu bon goût. Ces images du passé portent le souvenir de la saveur de ce moment. En un coup d’œil, l’auteur de la photo revit cette tranche de vie. En regardant son album, le pèlerin-photographe revoit ces signes qui semblaient ne briller que pour lui et que lui seul peut lire encore aujourd’hui; des messages destinés pour lui. Tous ces petits bouts de réel figés sont des traces de son chemin sensible. Revoir ses photos, c’est alors aller à la rencontre de soi-même, de ce soi révolu qui donne un sens à la personne qu’il est maintenant.

Et si vous aviez une seule photo à nous partager, laquelle choisiriez-vous? Prenez le temps de la regarder. Que dit-elle?

Brigitte Harouni