Une conscience du NOUS

Une conscience du NOUS

2020-04-10 2 Par Brigitte Harouni

Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts.

Isaac Newton

Il y a quelques années, j’étais directrice dans une école. Une grande école en milieu urbain, avec un grand et constant défi : développer le sentiment d’appartenance. Pour les élèves, bien sûr, mais aussi et surtout, pour les adultes de l’école. Il y avait bien des affiliations par niveau d’enseignement, par corps d’emploi, par intérêts personnels, mais non le sentiment d’appartenir à un grand tout : l’équipe-école. En découlait de nombreuses embûches et complications au bon fonctionnement de l’école.

Avoir conscience d’appartenir à un tout, c’est prendre conscience de l’importance de l’autre et de la relation qui nous unit. Peu importe le rang social, le niveau d’études, le salaire annuel, chacun est important. Dans une école, il va de soi que les enseignants sont essentiels, mais la secrétaire, l’éducatrice, la préposée et le concierge le sont tout autant. Pour que l’école soit en santé, tous ses acteurs, sans distinction ni priorisation, doivent pouvoir y jouer pleinement leur rôle. Accueillir chacun, en reconnaissant l’importance de sa présence dans les rouages de l’ensemble est un incontournable à l’épanouissement de tous. Le sentiment d’appartenir à une grande famille permet alors à chacun d’actualiser son plein potentiel afin que l’ensemble en bénéficie. C’est un don qui n’engendre aucune perte. Au contraire, il enrichit le tout.

Certains randonneurs se lancent sur des parcours de longue durée, « en autonomie » disent-ils. Leur marche est probablement autonome, en revanche, tout ce projet ne se réalisera qu’avec l’apport de l’autre. Cet autre qui aura conçu l’équipement ultraléger et performant. Celui qui le lui a vendu ou prêté. Puis cet autre qui aura balisé le chemin, ou celui qui aura crée l’application de géolocalisation. Cet autre qui a fabriqué le refuge, et celui qui passe l’entretenir. L’autre qui lui fournit sa nourriture aux points de ravitaillement, et celui qui élabore ces repas déshydratés-vitaminés … La liste est bien longue et pourtant on parle ici d’autonomie!

Le pèlerin qui voyage de village en village se sent davantage appartenir à une communauté, celle du chemin, celle qui rend possible son déplacement. Une relation invisible, insaisissable réunit tous les artisans de ce chemin. Une interdépendance qui n’oblige pourtant à rien. Mais une relation malgré tout.

S’il est une chose que la pandémie que nous traversons actuellement, met en lumière, c’est cette approche très individualiste que nous avons développée dans ce monde à visée économique. L’anonymat de nos vies et ce constant besoin de compétitionner nous divise. Nous hiérarchisons, catégorisons et étiquetons les individus. « Les jeunes », « les vieux », « les pauvres », « les profs », « les grévistes », … La distanciation sociale, je crois que nous la vivions déjà avant le virus. Et elle n’était pas que physique. À trop vouloir tirer la couverture de son bord, on détruit le tissu social qui nous unit. Le tissu social, la conscience que la vie de l’autre à un impact sur la mienne et vice-versa, fait la force de l’humain.

En 1929, un chercheur hongrois a établi la théorie des six poignées de main. Nous serions tous à seulement six poignées de main de toute personne sur la Terre. Le monde est bien petit! Alors, partant de cette incontournable fait, si nous sortions d’une culture du JE exclusive, pour se lancer dans une culture du NOUS inclusive. Si nous apprenions à accueillir l’autre, qui qu’il soit, pour un vivre ensemble bonifié, sachant, sans le voir, qu’un lien nous unit.  L’infirmière, c’est Nathalie; le camionneur, c’est Mario; l’épicier, c’est Jean-Pierre; la concierge, c’est Line; le médecin, c’est Steven; l’éboueur, c’est Michel; le fermier, c’est Thomas, les bénévoles, c’est Chantal, Sylvain, Émilie…. On joue tous dans la même équipe! Et plus nous serons nombreux à jouer, plus nous serons de gagnants.

Brigitte Harouni