L’ascèse du confinement

L’ascèse du confinement

2020-03-27 3 Par Éric Laliberté

Le confinement auquel nous sommes contraints, place une part de l’humanité en marge du monde[1]. En ce moment, près du quart de la population mondiale doit se retirer pour quelques temps. Quelles leçons tirer de cette ascèse? Quelle guérison peut-on espérer, outre celle du coronavirus, par ce temps de mise à l’écart?

Depuis quelques jours, les pays s’éteignent un à un et tombent en veille. Mise sur pause, comme le dit notre Premier ministre François Legault, l’humanité est réduite à l’incandescence relationnelle de ses tablettes ou téléphones intelligents, une forme de vie qui ne saurait durer. Même si cette ascèse peut laisser croire à des vacances, l’humanité aura tôt fait de réaliser qu’il s’y joue bien plus et ne pourra en rester là.

La puissance de l’exercice pèlerin relève de cette même mise à l’écart. Exercice de la marge, bien plus que des simples vacances ou temps d’arrêt, il s’y joue quelque chose qui dépasse notre entendement. L’ascèse qui en émane contraint à un art de vivre qui n’est pas usuel et conduit à revoir ses postures sociales en cherchant de nouveaux repères. Ainsi, toute personne qui se prête à ce type d’exercice intensif, par sa durée, qu’il soit athlète olympique, randonneurs de l’Appalachian Trail, ou retraitant silencieux de Vipassanā, trouvera cela exigeant. Au-delà des effets sur le corps, se produisent des effets sur la psyché qu’il ne faut pas négliger. 

L’exercice pèlerin se découpe en quatre temps et débute toujours par le plaisir de la pause au cœur d’une vie mouvementé. Qui dirait non à un congé qui survient à l’improviste? Surtout, quand on a la santé! Actuellement, plusieurs personnes vivent le confinement en ayant pour seul contact, avec la réalité de ce virus, les médias. Pas de malade dans leur entourage, pas de symptôme, rien. La menace est fantôme, comme le titrait Mylène Moisan dans Le Soleil il y a 2 semaines. Et c’est cela qui importe! La santé, c’est l’absence de maux.

Toutefois, le confinement conduit ailleurs. Être confiné réduit à un mode de vie dans un cadre très précis. C’est là qu’est l’ascèse : persister dans une posture. Quelle soit yogique, athlétique, ou autres, il s’agit de persister. Or, si le pèlerin-randonneur persiste dans sa marche, à l’inverse, le confiné de la COVID-19 devra s’astreindre à demeurer chez lui. Par la répétition de leurs exercices respectifs, jour après jour, quelque chose peut se produire. Comme l’observe Jean-Christophe Rufin dans Immortelle randonnée : « au-delà de huit jours ce ne sont plus des vacances! » Un nouveau cycle commence et installe dans un tout autre univers. Par la durée, un travail de maturation s’effectue. Un travail qui n’est toujours facile…

Dans cet espace qui perdure au-delà des vacances, émerge le besoin de se situer. Pour y parvenir, le deuxième temps de l’exercice pèlerin conduit souvent à faire plus de ce qui se faisait déjà : journées programmées, surchargées, performantes et exigeantes. En tant que confiné, il a fallu s’ajuster rapidement et tenter de reproduire le rythme d’avant, en maintenant la cadence. Les réseaux sociaux s’en trouve engorgé à l’excès. Zoom, Skype, Messenger, Facetime, échanges courriels à toutes heures du jours. En moins d’une semaine, le télétravail est devenu plus intrusif que le travail lui-même. L’autre est plus présent que jamais. D’autant plus que le contexte n’est pas celui du travail, il est celui de la vie familiale qui elle aussi réclame sa part. À vivre continuellement ensemble, la vie à la maison demande bien plus que lorsqu’on est au travail : plus de ménage, plus de repas, plus d’activités à organiser pour les enfants. Même si les réseaux sociaux peuvent sembler une évasion, chacun découvre rapidement que la vie ne se joue pas sur les écrans. Coincé entre le télétravail et les réseaux sociaux, par leur sollicitation constante, la vie file entre les doigts. Ce ne sont vraiment pas des vacances!

L’excès conduisant toujours à une souffrance, ce n’est qu’en touchant celle-ci qu’il est possible de s’éveiller, troisième temps de l’exercice pèlerin. Tout comme le pèlerin-randonneur qui excède à performer son pèlerinage, vient un temps où il sera rompu par l’exercice. Il ne peut pas tenir ce rythme indéfiniment et doit réviser sa manière de pèleriner par une mise à distance avec l’autre. Non plus vivre dans une éternelle comparaison performative, mais vivre selon ses besoins, ses capacités et son rythme. S’il en va ainsi pour le pèlerin, il en va de même pour le confiné. Bientôt, chacun devra réviser sa manière d’être en relation.

Par l’ascèse de cette mise à l’écart relationnelle, à l’ère des réseaux sociaux et des images de marques, le confiné n’aura d’autres choix que d’explorer ce que peut bien signifier « garder une saine distance ». Une exploration qui conduit au dernier temps de l’exercice pèlerin, là où chacun gagne en liberté et en ressort grandit par un nouvel art de vivre. Vous verrez, si la durée le permet…

Éric Laliberté


[1] Soulignons que pour une fois dans l’histoire de l’humanité, c’est une autre part qui est marginalisée.