À travers l’autre

À travers l’autre

2019-11-08 1 Par Brigitte Harouni

Si tu n’arrives pas à penser, marche;

Si tu penses trop, marche;

Si tu penses mal, marche encore

Jean Giono

L’homme est un animal grégaire. Depuis toujours, le besoin de se rassembler, de s’entraider et de faire communauté a permis à l’homme d’évoluer technologiquement, socialement, spirituellement… La mise en commun des forces individuelles nourrit et profite à chacun. Mais comme dans toute chose, l’équilibre est nécessaire. Trop de collectif étouffe, enferme, dépersonnalise. Partir, prendre une distance devient alors vital.

L’être humain est fondamentalement relationnel. Nous avons tous besoin de créer des liens avec ce, et ceux, qui nous entourent. Au fil de notre croissance, nous développons des habiletés pour entrer en contact avec notre entourage. Dès notre enfance, nous apprenons ce qui plait, ce qui se dit ou ne se dit pas, se fait ou ne se fait pas. On apprend à se conformer pour convenir, et plaire au regard de l’autre. Pour être aimé. À l’adolescence, en quête d’une identité qui nous soit propre, on essaie plusieurs costumes. On cherche à se distinguer tout en souhaitant demeurer accepté par le groupe. Puis adulte, on s’achète une panoplie de chapeaux pour parader, être reconnu, valorisé, approuvé…. par les autres. Une vie de mascarade! Et comme si on ne conférait pas assez de pouvoir à cet « autre », celui-ci se permet de faire de l’ingérence dans la définition que l’on tricote de soi-même. Il nous appose des étiquettes sans date d’expiration. Il nous présuppose et nous encadre dans une photo figée. Changer devient un combat. Être soi-même semble complexe, voire impossible.

Pèleriner, c’est se donner cet espace, ce recul physique et mentale, pour mieux comprendre l’impact et le jeu de ces relations que j’entretiens. Car en effet, je suis l’artisan de ce tissu social dans lequel je m’enroule. Sur le chemin, pas de costume, pas de chapeau, ne distingue les pèlerins.  La fatigue, la douleur, l’éloignement, les peurs et les inquiétudes ont tôt fait de rappeler à chacun d’entre nous, la fragilité et la finitude de notre condition humaine. Dépouillé de son armure, avançant avec le poids de sa réflexion, à pas de fourmi sur ce long chemin, le pèlerin redécouvre l’importance, le plaisir et le désir d’être en relation. Le désir! Parce que les relations deviennent un choix, et deviennent choisies. Le pèlerin savoure les moments de calme à travers les temps de solitude. Temps au cours duquel son esprit, comme son corps vagabonde, en quête de lumière. Puis, par la suite, il se plait à vivre les instants de rencontre et de partage. Les rires, les discussions, et même les silences, en compagnie de personnes qui l’accueillent et l’acceptent tel qu’il est. Sans jugement. Sans attente.

 C’est dans cette liberté d’être et de choisir que chemine intérieurement le pèlerin. Tentant de ne pas être tenté reproduire ces relations qu’il tente de fuir! Et la tentation est forte, car tellement plus facile que le changement. Il butine, allant de lui-même à l’autre. Cherchant dans cet espace à se définir, à trouver cette place qui est la sienne et dans laquelle il est pleinement confortable. Une place faite à sa mesure. Celle qui n’attend qu’une chose : c’est qu’il se décide à la prendre pleinement pour être bien dans sa peau. La peau! Cette partie du corps qui fait contact avec l’autre, cette porte d’entrée en relation avec tout ce qui nous entoure, cette fragile carapace parfois trop perméable. Comme le pèlerin qui passe à travers champs, c’est en traversant l’autre, allant au-delà de l’autre, que je me révèle : « Qui suis-je quand je peux être celui ou celle que je suis vraiment? »

Brigitte Harouni