À pas d’humain

À pas d’humain

2019-01-25 0 Par Éric Laliberté

Au plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer.

René Char

Notre humanité est faite de petits pas. De milliards de petits pas. Aucun train, aucun avion, aucune fusée ne sauraient les précipiter. Et même si nos tailles varient un tant soit peu, nos enjambées demeurent, à toutes fins pratiques, les mêmes. Que voulez-vous, nous avançons à pas d’humain. Des pas bien charnels, bien incarnés, qui nous rappellent que la vie… n’est pas pressée!

S’il en est ainsi, c’est que l’enjeu est ailleurs et que la vitesse n’y changera rien.

Aucune fuite en avant ne saura nous rassasier.

Angoissé par ce qui l’attend, fissuré par milles blessures, fragilisé dans sa chair, l’humain est humain par la lenteur de ses pas qui s’articulent tel un langage. En chacun d’eux s’aligne la construction d’un unique chemin : celui de la rencontre. Ce chemin, l’humain en est l’énoncé vivant. Il s’y situe dans l’espérance d’une croisée. À tâtons, il avance et cherche du bout des pieds, une surface solide où risquer de se poser, l’instant d’un dire qui soit entendu.

Marche, marche, marche, jusqu’à cet espace,

coït impromptu d’une parole jaillissant dans le noir,

marquant le ciel de sa lumière éphémère.

Guidées par le mystère de cette rencontre attendue, le désir d’une parole partagée, nos routes se construisent et se croisent. Au courage de ce risque, l’humain poursuit lentement son chemin. Aucun texto, aucun courriel, aucun portable, n’y changera rien. Limace sous le soleil, l’humain progresse dans ce dire qui espère l’espace de la rencontre. Une rencontre bien sentie, bien charnelle. Un espace qui demande du temps, de prendre le temps, de marcher lentement. Le pèlerin le sait bien : mettre un pied devant l’autre demande du temps. Il suffit de marcher pour que tout bascule, que le monde chavire dans cet espace de lenteur. Dès l’instant où le pèlerin se fait marche, il goûte l’univers. La vulnérabilité de son rythme décalé le capte tout entier et le projette dans ce tout autre…

Marche, marche, marche, jusqu’à cet espace,

au goût de chair et de sang,

où résonnent encore les pas des vivants.

Le bruit du pas qui foule le gravier. L’odeur de la rosée. Le bruissement d’aile du chardonneret. Des voix dans le lointain. La main sur une épaule. Le sourire esquissé. Tous ces gestes sont langages. Ils tracent l’espace de la rencontre au potentiel d’une parole. En eux, la vie avance à pas d’humain.

Marche, marche, marche, jusqu’à cet espace

qui libère de l’angoisse et où

prendre son temps devient rassurant.

Éric Laliberté