Mystique de la marche

Mystique de la marche

2018-09-28 1 Par Éric Laliberté
Le désir crée un excès. Il excède, passe et perd les lieux.
Il fait aller plus loin, ailleurs. Il n’habite nulle part…
Michel de Certeau
Les lieux nous permettent de passer d’un endroit à un autre. Les mots de faire avancer notre pensée. Les notes de musique de conduire une mélodie. Les gouttes d’eau tombent pour mieux remontrer vers le ciel. Tout est mouvement! Bloquez ne serait-ce qu’un seul des mouvements vivants inscrits dans votre corps et vous verrez combien il en coûte d’arrêter le mouvement de la vie!

Vivre est porté par le désir de notre insatisfaction : le désir de ce qui nous manque et que nous ne saurions combler. Je ne pourrai jamais manger assez pour être rassasié jusqu’à la fin de mes jours. Je ne peux pas respirer un bon coup et me dire que j’en serai dorénavant dispensé. Chaque objet finit par lasser. Chaque mode vient à passer. Chaque minute est comptée. Tout passe.

Michel de Certeau écrivait : « Est mystique celui ou celle qui ne peut s’arrêter de marcher et qui, avec la certitude de ce qui lui manque, sait de chaque lieu et de chaque objet que ce n’est pas ça, qu’on ne peut résider ici ni se contenter de cela » (La faiblesse de croire, p.18). Le pèlerin entre dans ce dépouillement qui lentement ne s’attache plus à rien car il sait d’avance que rien ne pourra assouvir sa soif, sinon tendre vers ce qu’il recherche dans un mouvement perpétuel.

Alors le chemin, le cheminement, mais vers quoi? Qu’est-ce qui m’appelle de manière insatiable à l’horizon de ce chemin?

Chaque jour de sa marche, le pèlerin est appelé à redéfinir l’horizon de sa route. Transcendant les limites de l’éternel « Qui suis-je? », il entre dans un « Où vas-tu? » qui le resitue en relation avec le monde. Marcher est une manière de relier des lieux entre eux. De tracer des liens. Se mettre en marche est ainsi relationnel.

Revenons à ce « Qui suis-je? ». Le questionnement qu’il suscite se fait en vase clos. La personne se parle à elle-même. Alors que le « Où vas-tu? » décentre de soi. Pour le pèlerin, cette question peut sembler banale à première vue. Pourtant, elle ne l’est pas. Quand le pèlerin prend le temps de l’accueillir, il constate rapidement qu’il ne va pas seulement à Compostelle, au Machu Pichu ou à Shikoku.

La question venant de l’extérieur, elle met en relation avec un Autre qui interroge sur une destination. Détournés d’un rapport de performance qui confronte sur le plan des identités, dans nos « Qui suis-je? », les regards de nos interlocuteurs sont tournés vers cet horizon qui interpelle, dérange et questionne. Le « Où vas-tu? » de cet Autre interroge les aspirations qui m’habitent tout en offrant la possibilité de nommer et questionner mon insatisfaction.

En recevant ce « Où vas-tu? », je prends conscience du souffle qui me porte. Que ce dernier m’appelle et me vient d’ailleurs, qu’il prend sa source dans cet horizon. Que mes aspirations, ce qui m’aspire et me tire en avant, me renvoient le message que je suis désiré, attendu, donc aimé.

Où vas-tu?

Éric Laliberté