Wanderlust

2018-04-27 1 Par Éric Laliberté
Le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page.
Saint Augustin
Dans les années ‘80, Paul McCartney chantait : « Light out wanderlust. Help us to be free. Light out wanderlust. Do it just for me. » Une bien mauvaise chanson, je dois avouer, mais dont les paroles expriment très bien le sens de ce terme allemand. Alors que l’expression « wanderlust » revient à la mode et réapparait un peu partout, que Tremblant et Whistler offre chaque été un festival en son honneur, que signifie-t-elle? Hé bien, si la mélancolie conduit à l’apathie, le wanderlust c’est tout le contraire! Il est un sentiment, un désir si fort qu’il abat les frontières, ouvre sur le monde. Le wanderlust aspire à plus de liberté.

Le phénomène wanderlust n’a rien de nouveau. Il remonte au 12e siècle alors que la jeunesse allemande l’utilisait pour décrire ce désir qui la saisissait et la troublait. Considéré symptomatique d’un mal de vivre, le wanderlust est d’abord perçu comme une maladie dont le seul remède ne peut être que la mise en route. D’ailleurs, la traduction la plus juste de wanderlust serait « bougeotte ».  Ainsi, au 16e et 17e siècle, alors que les pèlerins affluaient vers Compostelle et que l’autorité ecclésiale doutait de leur ferveur apostolique, on disait de ces pèlerins qu’ils avaient la « heilige wanderlust » : la sainte bougeotte!

Mais quels sont les enjeux derrière ce phénomène qui revient avec force? Que cherchent pèlerins, backpackers et autres voyageurs saisis par ce mal qui, cette fois-ci, est typiquement moderne, pour ne pas dire ultramoderne?

La modernité n’est plus ce qu’elle était. Ayant fait tombé les frontières de la tradition, elle est aujourd’hui confrontée à ses propres enfermements et, pour demeurer cohérente, se voit dans l’obligation d’abolir ses propres structures. Cette modernité avancée, ou ultramodernité, nous offre un monde aux frontières floues et aux repères fluides. Face à une telle porosité, tout semble fuir et rien ne suffit à contenir la quête de sens de l’être humain ultramoderne.

Comme l’enfant sans cadre de vie se heurte à l’adulte pour y trouver des frontières et se sentir aimer, l’humain ultramoderne cherche les frontières qui le contiendront et donneront sens à sa vie. Son wanderlust le pousse à sonder les limites de structures qui ne savent plus le rassurer. Le monde a volé en éclat et, aujourd’hui, il collectionne des morceaux de sens pour les échanger avec d’autres ou en tester la garantie.

Que faire quand l’illusoire contenance de nos institutions s’effondre et qu’il ne reste plus rien de croyable auquel s’identifier, auquel se rattacher? Que faire d’autre quand la carafe est brisée? L’eau ne peut que se répandre. En se lançant sur les routes du monde, pèlerins, backpackers et autres globetrotters semblent trouver-là une réponse à leur wanderlust. Et si le mouvement était le propre de l’être humain? Et si, dans ce mouvement, l’humain trouvait l’assurance d’une condition satisfaisante?

En ces temps aux frontières dissoutes, demeurer en mouvement pourrait bien s’avérer une réponse salutaire pour notre époque. Encore plus que les structures stagnantes qui ont conduit à la modernité et à son éclatement, mouvement semble s’accorder avec vivant. Loin des certitudes de la modernité, glissons-nous dans cette fluidité du temps et allons explorer ces repères qui rendent la vie signifiante : « Light out wanderlust. Help us to be free. Light out wanderlust. Do it just for me. »

Éric Laliberté