Comme un grand silence

2018-03-30 1 Par Éric Laliberté
La vie est si curieuse, si surprenante, si nuancée, et chaque tournant du chemin
nous découvre une vue entièrement nouvelle.
Etty Hillesum
Il y a un temps pour chaque chose et chaque temps se fait sentir à son approche. Dans l’hyperactivité de nos vies, les temps d’arrêt se font rares. Les secondes se bousculent et on en vient à ne plus voir passer le temps. Que sont devenus ces années à s’agiter, à se presser, à s’étourdir de travail?

La tête pleine. Le cœur lourd. Le corps fatigué. Les lieux de ma vie ne s’accrochent plus les uns aux autres. Je n’arrive plus à en tracer la ligne, à relier ces moments qui pourraient construire le sens de ma vie. Comme un écrivain compulsif, ma vie s’écrit sans prendre le temps de la relire. J’ai besoin de recul pour en apprécier la portée. De temps d’arrêt pour en saisir les effets.

Chaque jour ma vie s’écrit bien malgré moi. Je suis la pointe de ce crayon qui ne cesse de raconter mon histoire. Chaque instant, chaque souffle, chaque geste, chaque pas, sont autant de lettres qui composent le récit de ma vie. Pour lire cette histoire, il me faut des pauses, des temps d’arrêt, des temps de silence. Décoder ce qui fait sens, ce qui illumine mon récit…

Nos vies s’écrivent comme la nuit où cet humain s’est arrêté pour contempler la voute étoilée. Devant la multitude des étoiles, devant cette confusion de points scintillants, il ne parvenait pas à lire ce que le ciel écrivait. Pour tenter d’y voir plus clair, il a tenté de mettre de l’ordre. Dans le silence de la nuit, il s’est mis à relier les étoiles entre elles. Sélectionnant certains points lumineux, il traçait des formes : des constellations.

Des récits prirent alors forme sous ses yeux. Des constellations s’écrivaient dans le désordre du ciel, le rendant soudainement plus signifiant. Apparaissait une grande ourse et son petit, un archer, un centaure, un lion… Chacun de ces tracés racontant une histoire. Et ces histoires se répondant l’une l’autre, prenaient part au récit de l’autre. Toute une mythologie s’écrivait dans le ciel et l’expliquait.

En contemplant le ciel, il n’a pas vu que la noirceur occupait toute la place. Il a vu des points lumineux et les a reliés entre eux. Et c’est précisément dans cette noirceur qu’il a pu accomplir son travail. Il se devait d’attendre la nuit pour distinguer l’histoire qui s’écrivait. Dans la nuit, nous pouvons lire les traces de la lumière.

Nos vies sont comme ce fouillis d’étoiles : elles ont besoin de pauses dans le silence de nos nuits, pour en écrire les constellations, pour tracer en les chemins lumineux…

Quand tout fout le camp, que ma vie perd de son sens, qu’un grand vide s’installe au milieu de la course folle, c’est que la nuit arrive! Il est alors temps de s’arrêter pour se relire. Dans la noirceur de ce moment, nous devrons faire l’effort de cet humain qui voulait tracer du sens dans le ciel et relier les points lumineux au cœur de cette grande noirceur.

La vie passe comme un grand silence. Comme la nuit noire qui contient ces étoiles et tous leurs récits. Elle nous traverse à chaque instant sans faire de bruit. Arrêtons-nous pour écouter ce qu’elle raconte. Parmi toutes ses histoires, notre constellation brille.

Éric Laliberté