L’après-pèlerinage : l’appel d’un retour à la source

2015-04-17 0 Par Brigitte Harouni
Tu connaîtras la justesse de ton chemin à ce qu’il t’aura rendu heureux.
Aristote

Migration - St-Michel-de-BellechasseC’est le temps des migrations. Et l’homme, tout aussi civilisé qu’il soit devenu, n’échappe pas à cet élan primaire. Pour ma part, j’ai des fourmis dans les jambes. Chaque printemps éveille en moi ce désir de partir longtemps et loin, ce besoin d’un ménage intérieur. Mais ce n’est ni le besoin, ni l’envie. C’est une force au fond de moi qui m’appelle à bouger.

Comme le saumon, je suis née dans un petit ruisseau et j’ai suivi mon cours d’eau. J’ai fait mon chemin en suivant le courant, en visant plus loin, plus grand. La route que tout le monde emprunte car elle est source de richesse et de réussite. Celle que mes parents souhaitaient me voir prendre. Je me suis retrouvée dans cet océan qu’est le grand monde, ou le monde des grands. Un monde qui s’agite et s’étourdit d’objets qui brillent, de clinquant, de futile et d’inutile. On y travaille comme si on était irremplaçable. On donne plus du temps de notre vie à des étrangers qu’à nos proches. On s’investit avec professionnalisme et dévotion dans les entreprises des autres, délaissant ou négligeant nos propres passions et intérêts. On soigne notre image au détriment d’être confortablement soi-même. L’«avoir» est déterminant de notre situation. Et avoir plus est encore mieux. Il est signe de bonheur et de réussite personnelle. Mont-Washington - 2011

Pour le saumon, la migration implique de profondes modifications physiologiques pour passer de l’eau douce à l’eau salée de l’Atlantique. Pour l’homme, ces adaptations se font graduellement tant et si bien qu’il en vient à ne plus remettre en question cette vie qui pourtant le blesse et le malmène intérieurement. Seulement voilà : ce n’est pas un signe de bonne santé mentale d’être bien adapté à une société malade (Jiddu Krishnamurti, philosophe indien). Malgré tout, on s’échine à vouloir être à la hauteur. On vit la pression et en plus on s’en met nous-même. On adopte des comportements qui ne sont pas les nôtres pour être à la mode, et faire partie de l’équipe. On se dénature et on s’oublie. Tout cela au prix de notre santé, tant physique que mentale.

Après quelques années passées dans l’océan, le saumon sent instinctivement l’appel du retour à la maison. C’est à ce moment, je crois, que je suis partie pèleriner, en quête de ce je-ne-sais-quoi qui m’aiderait à identifier mon mal-être de ce trop d’avoir, et de cet oubli de moi. Poussé par son instinct, chaque saumon parcourt des milliers de kilomètres et remonte même de tout petits ruisseaux. Certains franchissent des cascades de trois mètres. Ils doivent affronter la fatigue, les prédateurs et la pollution. Un retour aux sources ne se fait pas sans effort. Il faut savoir détricoter des mailles bien nouées, accepter d’abandonner son ancienne peau, son ancienne image, et changer de paradigme. La Voie du St-Laurent - Tourelle - 2014

Chez le saumon, ce phénomène instinctif qui le ramène là où il est né s’appelle le «homing». Du mot «home» signifiant «chez-soi». C’est ce chemin intérieur que je parcours lors d’un pèlerinage; un retour vers celle que je suis, un retour vers une eau plus pure, plus cristalline. L’essence même de soi. Après cette prise de conscience, viendra l’acceptation de ce soi. Et c’est une fois ces étapes franchies que pourra naître une nouvelle vie. Celle qui sera adaptée à moi plutôt que le contraire. Celle que je choisirai. À chaque retour de pèlerinage, je ne suis plus tout à fait la même, je me rapproche de moi.Bottes et Vélo - Emblême

Brigitte Harouni