Le pèlerinage: le privilège de se réapproprier sa vie

2014-09-27 0 Par Éric Laliberté
L’essentiel n’est pas de vivre, mais de bien vivre.
Platon

2014-07-03 11.10.09 Lorsque je me lance sur un chemin de pèlerinage, je me sens privilégié. Pendant plusieurs jours, je retrouve ma liberté. Je sors de l’agitation quotidienne, de cet esclavage moderne, pour entrer dans un monde riche de couleurs et de sensations. Je quitte un mode de vie dont je n’ai plus conscience tellement tout va vite, tellement mon corps et mon esprit sont sollicités de partout. Un mode de vie qui ne me laisse plus le temps de penser. Pas le temps de me demander si c’est normal de vivre ainsi…2014-07-04 15.35.51

Notre dépendance aux technologies de communication, à la télévision, à l’internet, nous laisse envahir de partout. Nous le savons tous : le cellulaire enchaîne et est intrusif; les courriels et facebook rongent notre curiosité; les écouteurs dans les oreilles, on ne se parle plus que très peu, sinon quelques mots envoyés par textos. Des mots envoyés sans penser, des mots sans conscience… 2014-07-06 06.56.35On ne s’écoute plus, on ne s’entend plus. On ne s’entend même plus penser. Notre sensibilité à l’autre s’amenuise de jour en jour, pendant que notre intolérance grandit. Insensible à l’autre, trop sensible à soi…

Notre esprit, continuellement sollicité, ne prends plus le temps de réfléchir sur notre condition. La tête pleine de mille et une préoccupations matérielles et sociales, le sentiment de ne pas avoir de temps pour soi, nous ne remettons plus en question notre inscription à la course folle d’une vie performante. Une vie qui coûte de plus en plus cher! 2014-07-10 14.30.49

Pour répondre à ce rythme de vie, nous offrons le meilleur de nos journées à un emploi qui nous prend la tête bien plus que 8 heures par jour. Un travail dont le salaire se voit amputé de moitié pour soutenir des services sociaux qui ne font que diminuer, des élus dont nous doutons de la droiture…

Le stress, la pression, la production, tout cela laisse mon corps et mon esprit complètement vidés, avec un sentiment d’impuissance.2014-07-25 08.36.31 Pressé comme un citron, je me retrouve en fin de journée, fourbu, incapable de vivre dans le silence. Mes propres pensées sont devenues angoissantes. Alors, je m’éteins devant la télé qui s’allume. Le peu d’espace que nous aurions pour nous donner de la perspective, nous le mettons sur la télévision. Trop fatigués, désabusés peut-être, nous cherchons un sens à tous cela et la télévision nous en offre un, nous laisse le sentiment d’être en vie, nous fait rêver, nous incite à croire que cette manière de vivre est extraordinaire…

Parfois, on critique, on s’emporte, on manifeste même. 2014-07-27 11.43.12On fait des coups d’éclats, on brise des vitrines, on brandit le poing, mais, au final, on ne laisse rien tomber. On ne remet rien en question. Esclave de ce modèle de vie, on continue de faire plus de ce dont on a le moins besoin.

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Je sens encore le vent qui souffle et nous pousse plus en avant sur nos vélos. Je revois ce ciel d’un bleu puissant et ce soleil aveuglant. Les verts sont plus verts, les ocres plus ocres. La terre sent bon. Il y avait ces canetons qui couraient sur la piste cyclable. Les plages de sable blond du lac Ontario qui s’étiraient à perte de vue. Ces villages aux gens accueillants…2014-08-01 05.18.06

Mes pas suivent des sentiers bordés de rosiers sauvages. Mon regard se perd sur un fleuve immense. Des baleines suivent le rivage. Les hautes herbes, le long du chemin, s’inclinent par vagues successives. Le soleil chauffe la terre humide. L’air salin emplit mes narines. Les couleurs sont vives. Les odeurs sont présentes. Mes yeux sont avides de voir, mon nez de sentir, mon corps d’éprouver. 2014-07-26 14.53.30J’ai la poitrine qui se gonfle, trop petite pour contenir toutes les odeurs, tout le bonheur que je ressens en cet instant. Quel privilège que le pèlerinage! Ma tête se libère et je me retrouve enfin! C’est ça vivre! Je le sais, je le sens. Chacune de mes cellules est marquée par cette expérience. Le pèlerinage libère. Il permet de nous réapproprier l’expérience humaine dans toute sa splendeur, dans toute sa simplicité : sans fioriture, sans éclat, sans illusion.

Lorsque je suis en pèlerinage, mon bagage est si petit qu’il n’est plus un souci. Mon bonheur dépend de si peu que c’est à se demander : pourquoi posséder autant? L’essentiel tient dans deux sacoches de vélo ou un sac à dos! Je me libère des dépendances matérielles. Je réalise que deux chandails me suffisent et que le lavage devient une corvée que l’on règle en un tour de main. 2014-08-09 16.00.41C’est le contact avec la vie, la nature, les gens qui me procure le plus grand plaisir. Ce n’est pas moi qui possède, c’est la vie qui me possède!

Lorsque je suis en pèlerinage, je redeviens attentif à mon corps. J’en prends soin. Je le soigne, il se soigne, à travers cette activité. J’apprends à écouter les signaux qu’il m’envoie. Je sais quand il en a assez. Je sais ce qui lui fera du bien. Ma tête se vide et je me retrouve. Conscient dans mon corps, je l’habite et mes perceptions sensibles en sont accrues, mes sens plus aiguisés. Je redeviens présent à moi-même et par conséquent conscient de l’autre. Cette conscience du corps, conscience de soi, ouvre étrangement sur l’empathie. Je me sens solidaire de l’expérience humaine. 2014-08-09 16.16.45

Lorsque je suis en pèlerinage, je reprends possession de mon temps, de ma vie. Je savoure chaque instant. Quel privilège dans notre monde moderne que de s’accorder du temps pour soi! Débuter la journée quand bon nous semble. S’arrêter pour admirer. S’étendre sur un coin d’herbe parce que c’est bon. Pas d’horaire, pas de précipitation, seulement le temps d’être présent. Je ne me presse plus, il n’y a plus d’urgence.

Le privilège du pèlerin est de pouvoir se réapproprier sa vie. Lui redonner goût et saveur, la rendre riche de sens, retrouver le plaisir des sens, celui qui nous met en contact avec le vivant, celui 2014-08-10 14.42.58qui nous met au monde. Le pèlerinage, c’est faire moins pour vivre plus! Moins de matériel, moins de préoccupations; plus de temps, plus de qualité de vie. C’est changer l’orientation de nos journées, réduire plutôt qu’en rajouter.

La vie est simple, laissez-vous prendre, saisissez-là, habitez-là!Bottes et Vélo - Emblême

Éric Laliberté