Apprécier la lumière

2016-12-23 2 Par Éric Laliberté
L’essentiel est invisible pour les yeux.
Antoine de Saint-Exupéry
C’est dans l’obscurité qu’on remarque le plus la lumière, disait un ex-toxicomane et itinérant. Avec les jours d’hiver, celle-ci nous manque de plus en plus et parfois le moral n’est pas fort. Dans l’obscurité qui se prolonge, la vie vient à manquer et perd de son sens. L’obscurité nous pèse lourd. Ce temps de l’année nous semble interminable. Il n’est pas étonnant que, dans un tel contexte, l’arrivée de Noël nous réjouisse. Son arrivée annonce le retour de la lumière. Le jour se lève enfin sur cette longue nuit et les premiers rayons vont bientôt pointer à l’horizon. Traverser Noël, c’est entrer dans l’espérance. Nous avons besoin de lumière pour vivre.

Ce qui est désolant dans l’absence de lumière, c’est qu’on puisse passer sa vie sous les néons de notre civilisation sans se rendre compte de rien. Comme dans un élevage industriel de poulet, l’éclairage illusoire d’une vie factice nous maintient en vie artificiellement. On peut dès lors se questionner, est-ce parce qu’il fait clair que je suis dans la lumière? Aveuglé par trop de lumière, on n’y voit rien!

Lorsque notre vie nous étourdit, que l’agenda est trop rempli, que tout va de travers, que le moral n’y est plus. Lorsqu’on se précipite d’événements en événements, d’une activité à l’autre, que la fatigue nous accable, que l’on manque toujours de temps. Lorsqu’un petit remontant devient nécessaire pour passer au travers et faire digérer le surplus ingurgité. Lorsque, malgré tout, nous maintenons ce rythme. Il faut bien l’admettre : on n’y voit rien! Nous sommes dans l’obscurité la plus totale, malgré l’éclairage. Aveuglés par trop d’éclats, d’agitation, de télévision, d’internet, de modes, de croyances, de craintes, de certitudes et de convictions, notre vie manque d’espace pour respirer. Éblouis et convaincus du bienfondé de cette civilisation de consommation, aveuglés par la fatalité de notre situation : on n’y voit rien!

Certitudes et convictions! Quoi de plus aveuglant que des certitudes et des convictions? On en a beaucoup des convictions! Tout le monde est convaincu de quelque chose. La plus grande conviction que nous ayons est sans doute celle des cloisons de notre vie. Pas le choix, c’est comme ça! Il y a une espèce de fatalité à vivre dans ces conditions d’élevage de poulet industriel qui fait maintenant figure de pression sociale. Celui qui ne s’y conforme pas est hors norme, disqualifié. Tout espace doit être comblé et les standards de performance maintenus, sous peine de passer pour un sous-individu dont les capacités sont limités, un lâche, un fainéant.

Pourtant, vous pourrez être le plus convaincant des convaincus et affirmer avec certitude ce qu’il faut de bonne terre et d’ingrédients pour bien faire pousser les végétaux; nous avons tous vu, et contre toutes attentes, cette fleur fragile jaillir d’une fissure dans le trottoir en plein centre-ville. Cette petite fleur a de quoi ébranler nos plus solides convictions et toutes nos croyances sur la fatalité de la vie. Lorsque nous la croisons, cette petite fleur, elle jette un éclairage sur nos obscurités, nos zones d’ombres, nos enfermements… Elle nous révèle des choses que nous aurions préféré laisser dans l’obscurité : « Ce que l’on ne voit pas ne fait pas de mal! » Malgré nos œillères, cette petite fleur nous rappelle que la vie prend sa place et son temps dans un ordre qui n’est pas celui que nous suivons. Elle nous rappelle que nous sommes sur la fausse route à peiner comme nous le faisons. Que malgré nos structures de béton, la vie est plus forte que tout. Elle ne s’enferme pas.

La vie prend son temps, s’étire longuement, savoure, contemple, file doucement, s’épanouit d’un rien. La vie est présence. Tout y baigne. On ne peut y échapper. Même dans la plus profonde de nos psychoses, la vie demeure. Elle est à l’image de ce que décrit l’allégorie de la caverne de Platon : celui qui désire l’étreindre devra sortir de son obscurité, de son repli sur soi. Il devra aller jouer dehors! La vie est bien plus qu’un jeu d’ombre sur l’écran de nos télévisions. Il faut sortir pour l’apprécier pleinement.

L’expression sortir de l’ombre, ou même de nos obscurités, ne vous est pas inconnue et vous savez certainement mieux que quiconque ce qu’elle peut signifier pour vous. On peut toutefois s’entendre pour dire qu’en se lançant dans une telle aventure, il y a quelque chose qui invite à vaincre ses démons intérieurs et ses peurs, laisser tomber ses idées toutes faites, abandonner ses croyances étouffantes, oublier ses préjugés, défaire les liens d’un ego sans borne… Ce qui est à retenir, et il n’y pas à en douter, c’est que pour en sortir : il faut quitter. Le déplacement est nécessaire. Rien n’arrivera si on ne quitte pas. Pour sortir de l’obscurité, il faut délibérément la quitter et se mettre en route vers la lumière.

Pour l’aveugle, cette image n’est certainement pas la meilleure et peut sembler exclusive. Ce n’est pas le but de cette réflexion. Marcher vers la lumière suggère tendre vers la vérité de ce qui fait vivre, de ce qui est juste. Se donner comme référence la force vivante qui nous anime et travailler de concert avec elle pour que tout vive. Un parcours où je m’inscris en cheminement avec l’autre dans la Vie. « Je » n’est jamais seul, ni par lui-même, il s’accomplit dans le mouvement de cette interrelation.

En ce moment, alors que la lumière est à son plus bas et que nous sommes parvenus au moment le plus sombre. À l’heure où nous vivons chacun pour soi, prisonniers de nous-mêmes. À l’heure où notre société fait la propagande de l’individu-consommateur et objet de consommation. À l’heure où la radicalité fait rage et qu’il n’y a plus de place pour nuancer. À l’heure où tout peut sembler perdu. Serons-nous prêts à quitter l’obscurité pour entrer dans la lumière de la Vie et vivre pleinement? Je nous le souhaite. Le plus beau cadeau que l’on puisse se faire c’est de se laisser éclairer : voir la vérité sur soi et sur le monde qui nous entoure. Celle qui nous rappelle que personne ne désire vivre dans l’angoisse et l’anxiété, dans la peur et l’oppression, dans l’agression et la manipulation. Celle qui nous rappelle que nous voulons être aimés, que nous avons besoin d’amour, et que nous avons beaucoup à offrir. Le percevoir, c’est déjà être en route.

Prenons soin les uns des autres dans ce parcours vers la lumière. Même si la joie est grande, la route n’est pas toujours facile.

Joyeuse fête de la lumière! Joyeux Noël! Joyeux Pèlerinage!

Éric Laliberté