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Ce sacré pèlerin!
On croit marcher vers un lieu sacré, mais c’est en nous que le sacré se révèle. »
Jean-Christophe Rufin
Qui n’a jamais entendu parler de la Croix de Fer qui se trouve sur le Camino Francès. Cette croix située sur le Monte Irago, juste après le pittoresque village de Foncebadon se dresse, frêle, mais chargée d’une symbolique puissante, au cœur de ce pèlerinage séculaire.
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À l’aube, une file silencieuse de pèlerins marche vers elle, chacun portant avec lui une pierre, ou un objet chargé d’une histoire intime, qu’il transporte depuis son domicile et qu’il déposera au pied de la croix en signe de renoncement, d’offrande ou de prière. Puis, le pèlerin reprendra sa route vers la cathédrale de Santiago, allégé de ce poids visible et invisible.
Lors de notre dernier symposium sur les études pèlerines à l’Université de William and Mary, en Virginie, la professeure Maryjane Dunn nous a tous subjugués par le contenu insoupçonné qu’elle nous livrait. Linguiste et spécialiste des chemins de Compostelle, elle s’est penchée sur l’histoire de ces lieux emblématiques et sacrés du Camino. C’est ainsi qu’en effectuant ses recherches sur le passage à la Croix de Fer, ce lieu considéré aujourd’hui comme mythique, un fait surprenant lui est apparu : aucun document ancien ne mentionne la Croix de Fer comme étant un site religieux ou rituel.
En remontant le fil de l’Histoire, on réalise qu’il n’est nulle part mention de la Croix de Fer dans les récits pèlerins. Aucun témoignage médiéval ne fait état de cette croix précise, ni du geste symbolique qui l’accompagne aujourd’hui, car cette croix n’est pas unique. En effet, au XVe siècle, de nombreuses croix furent érigées tout au long du chemin pour guider les pèlerins jusqu’à la cathédrale de Santiago. Ces croix sont ainsi davantage des repères, des balises bien plus que des sanctuaires. Qu’en est-il donc de l’historique de LA croix de fer?
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La naissance de la Cruz de Ferro de Foncebadon pourrait être tout aussi pragmatique. En ces temps reculés, ce village, comme d’autres hameaux un peu démunis, a bénéficié d’une exemption d’impôts. Il devint donc nécessaire de marquer les frontières de ce territoire. Ce qui fut fait à l’aide de trois croix de fer. Ceci viendrait alors expliquer pourquoi cette croix se tient isolée, à l’extérieur du village, à la frontière de la Galice, sans autre vestiges religieux pour l’accompagner.
D’ailleurs, la croix de fer actuelle ne daterait que de 1952 et le rituel qui l’entoure serait apparu un peu plus tard. Initialement, on y déposait un caillou. Mais au fil du temps, la renommée aidant, la Croix de Fer s’est chargée d’une aura sacrée et aujourd’hui, on lui remet toutes sortes d’objets en offrande et en prière.
Ainsi, ce lieu que l’Histoire n’a pas consacré s’est vu investi par l’âme des pèlerins. Née d’un besoin de repère, la Croix de Fer est devenue pour le pèlerin, un passage obligé pour gagner en légèreté et ainsi préciser les repères de sa vie. On observe alors que le sacré ne réside pas tant dans le lieu que le pèlerin traverse, que dans la manière dont le pèlerin accepte d’être traversé par l’expérience!
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Brigitte Harouni
Merci tellement pour votre article qui me ramène à ces moments émouvants chargés de sens, d’humanité, de vies à déposer.
Une seule pierre choisie avant le départ dans laquelle avaient été déposées les intentions secrètes des personnes chères.
Seule au pied de la Cruz, sur la montagne de pierres entassées au fil du temps par les pèlerine de tous temps, je me suis sentie habitée par le caractère sacré de ce geste bien humble mais combien relié à toutes les vies qui l’ont posé avant moi et le poseront après moi.
Je me suis hâtée de poursuivre mon chemin quand j’ai vu un autocar rempli de touristes arriver sur le site. Je ne voulais pas que m’échappe le caractère sacré de ce que j’avais vécu en ce lieu, en présence d’un compagnon de route tout aussi recueilli.
Merci pour ce retour en force de mon camino France-Espagne 2007!
Merci de nous partager l’humble histoire de ce lieu sacré chargé de nos histoires bien humblement humaines.