Comme une étoile filante

Comme une étoile filante

2025-01-31 0 Par Brigitte Harouni

Les faits sont périssables, crois-moi, seule la légende reste,

comme l’âme après le corps, ou comme le parfum dans le sillage d’une femme.

Amin Maalouf

On dit bien souvent que le pèlerin est un voyageur. Qu’au rythme de l’escargot, avec son bagage sur le dos, il traverse le paysage. Qu’au gré des jours, il s’imprègne de visages qui continueront de résonner avec ses pas. Que le temps de son pèlerinage lui offre une bien généreuse récolte. Personnage principal de ce roman vivant, il n’est cependant pas seul. Une multitude de fils se tisse sur son passage qui le relie à ceux qui croisent sa route.  

Ainsi, bien qu’il se sente choyé de tant recevoir, le pèlerin ne suspecte pas les effets de mouvement laissés par son simple déplacement. Comme le canard avançant sur l’eau calme du lac, le pèlerin laisse dans son sillage des vagues qui se répercutent au cœur de ceux qui habillent son chemin. Sans le savoir, par sa simple marche : il donne! Il donne à voir. Il donne à entendre. Il donne à rêver. Il donne de l’élan.

Coups de klaxon, cris d’encouragement, saluts de la main et pouces tendus, les indices faisant écho à cette onde invisible sont nombreux.  La présence du pèlerin ne laisse pas indifférent.

Avant même le début de sa marche, des exclamations lui sont adressées qui en disent davantage sur la personne prononçant ces mots. « Chanceux!, Je t’envie, Tu es bon de faire ça, Un jour moi aussi, … ». Parent inquiet, petits-enfants admiratifs, ami envieux. Chacun est bousculé intérieurement par le projet qui s’annonce. Chacun lit cette aventure à partir de sa propre histoire. Ainsi, bien malgré lui, le pèlerin fait naitre des étincelles de désir. Il ouvre un possible. Il inspire.

En chemin, certains lui crient « Courage! ». Ce mot, qui tire son origine du mot cœur, met en évidence les défis qui sous-tendent l’expédition entreprise, tout en soulignant la force vitale qui anime la personne. À la simple vue du pèlerin, l’autre vibre. Quelque chose le touche. Cela le renvoie-t-il à son propre voyage de jeunesse? Recontacte-t-il un rêve qu’il chérit? L’impact est fort, tellement qu’il ne peut se retenir : « Courage! » Avoir du cœur. Mettre le cœur à l’ouvrage. Avoir du cœur au ventre. Bravoure et vertu contenus dans un seul mot. Le temps de passer, et le pèlerin entraine déjà l’autre avec lui, dans son aventure. Il le sort de sa routine, l’invite à avoir lui aussi du courage, attise son désir de vivre.

Les pèlerins des chemins de Compostelle reconnaitront le cri d’autrefois : « Ultreïa! »; aller plus loin. Un cri d’encouragement qui invite le pèlerin à persévérer, à continuer sa route malgré les embûches. À cet encouragement, ce dernier répondait : « y suseïa! »; aller plus haut. On venait ainsi préciser, en peu de mots, que le pèlerinage n’est pas uniquement un déplacement horizontal. À celui qui s’y abandonne, reconnaissant ses limites et ses vulnérabilités, une sagesse s’acquerra en chemin. Il s’élèvera. « Y suseïa! » : le pèlerin partage le fruit de ses apprentissages. D’ailleurs, l’expression complète est « ultreïa y suseïa, Deus adjuva nos »; avec l’aide de Dieu. Bien que courageux, le pèlerin n’est pas un héros. Par cette longue marche, il apprend à faire confiance à ce que la Vie a à lui offrir. Il donne à celui qui l’écoute parler de ses péripéties pèlerines, à celui qui entend tous ces « cadeaux » du chemin, ces improbables coïncidences qu’il a vécues, à celui-là, il offre un espace de germination de la foi, d’un lâcher prise confiant.

Le pèlerin, loin d’être seul dans son voyage, navigue à travers un univers de relations. Les répercussions de son passage bien qu’intangibles sont constantes. Comme l’étoile filante qui laisse une trainée lumineuse dans l’encre du ciel, le pèlerin interpelle, questionne, éveille le désir et laisse une trace insaisissable. Il crée du mouvement en l’autre. Il sème la graine de ce que l’autre désire voir fleurir.

Brigitte Harouni