
Cet autre qui dérange
Il n’y a pas de pèlerinage sans rencontre. L’autre est au cœur de l’expérience pèlerine. Sans lui, le mouvement pèlerin n’existe pas. Il est celui qui pique la conscience et stimule l’éveil. Face à l’autre, je m’interroge sur ce que je suis, sur ce qui structure ma vie : qui suis-je? Où vais-je? Que veux-je?

L’autre est celui qui me permet de grandir, de mieux me connaître, de m’affirmer, de me distinguer. J’ai besoin de lui, tout comme il a besoin de moi pour être. En refusant la rencontre, nous sombrons dans les illusions du même, du moi, et l’étranger devient un ennemi à abattre.
Les enjeux politiques actuels tournent autour de cette rencontre, entre refus et accueil de l’autre. Que ferons-nous face aux menaces uniformisantes et univoques incarnées par Trump? Qui serons-nous face à cet autre?
Sur les chemins de pèlerinage, l’autre est toujours une grâce. Il offre la possibilité de sortir de nos dérives égocentriques. L’unique, quant à lui, relève d’un certain délire divin, où Dieu devient synonyme d’uniformité et où homogénéité rime avec vérité. Confrontés à de l’autre, nous sommes déstabilisés dans nos prétentions souveraines. L’autre éveille, bouscule, sollicite, remet en question, touche, bouleverse, étonne, fait rire ou met en colère. Peu importe ce qu’il provoque, il nous oblige à faire un pas de côté et nous déloge de ce que nous tenions pour acquis. Il appelle à la vigilance là où nous risquions de sombrer dans l’engourdissement d’une vie machinale. L’autre rappelle que tout est possible, même ce que nous n’avions jamais imaginé.
Trump, par les idéologies qu’il véhicule, personnifie l’un de ces autres qui bousculent. Tous nos sens sont en alerte face à la menace qu’un tel mouvement représente ; et cela nous incite à nous mettre en route.

Dans une telle perspective, le pèlerin est celui qui répond au mouvement suscité par l’espace de la rencontre, alors même qu’elle l’oblige à s’interroger et à cheminer. Cependant, les chemins pèlerins ne sont pas unidirectionnels. Nous sommes aussi l’autre d’un autre, de cet autre en particulier. L’espace de la rencontre invite à se positionner, de part et d’autre, pour définir ou redéfinir la relation. De cette rencontre surgira inévitablement du neuf.
Aujourd’hui, avec tout le tumulte que nous vivons, nous pouvons affirmer que la rencontre est effective. Nous n’en serions pas là si ce qui se dit ou se fait ne nous atteignait pas. Il y a de l’autre et s’il nous confronte, c’est parce que nous sommes aussi confrontants. Lorsque l’autre est semblable à moi, je ne le vois pas : il est moi. Or, nous n’entrons pas dans cette catégorie. Ce que nous sommes offre une représentation du monde distincte, ce qui signifie qu’elle peut effrayer par son originalité ou par ses imperfections.

Face à ces écarts relationnels, certains choisiront d’assimiler l’autre, de le rendre semblable à eux-mêmes, pour effacer toutes différences perçues comme menaçantes. En réaction, pour ne pas être annihilé, la rencontre oblige à préciser et raffiner ce que nous sommes. C’est ici que la grâce opère et devient occasion de se définir : que sommes-nous exactement? Que voulons-nous? Là où l’étranger est perçu comme une menace, saurons-nous travailler dans l’ouverture de la rencontre et goûter toute la richesse de la diversité?
Travailler dans cet espace est un chemin difficile, un chemin qui oblige à sortir de nos torpeurs, à nous tenir debout pour avancer. Il est un chemin nécessaire cependant, pour que le monde de demain advienne ensemble.

Éric Laliberté
Merci Éric de nous rappeler que ce n’est pas en évitant d’échanger avec l’autre différent de moi que je cheminerai, mais plutôt en lui faisant un espace pour que le dialogue nous permette l’un l’autre de mieux se comprendre et d’aimer davantage mon semblable à travers nos différences.