
Quand la vie goûte bon
Dans Bellechasse, on a une expression savoureuse pour décrire le bon goût de la vie : « heureux comme un chien dans une boîte de pick-up ». Rien qu’à l’imaginer, on peut sentir le plaisir de ce chien qui se laisse caresser par le vent sous un soleil éclatant. La langue pendante, les oreilles battant au vent comme des mouchoirs, on croirait le voir sourire. Tout son être se remplit de cet instant enivrant : la joie d’être avec son maître, la force du souffle qui le presse, la griserie du mouvement qui l’emporte. Tout ça goûte bon !

Si le chien apprécie ces moments d’allégresse, l’humain aussi. La joie est au cœur du désir humain. Certains psychologues s’entendent même pour dire qu’elle est la seule émotion véritable ; les autres ont pour fonction de nous informer que nous ne sommes plus dans la joie. Peur, tristesse et colère signalent que quelque chose a déraillé. La joie, la véritable, est à rechercher sans cesse. C’est ce que nous faisons, entre autres, sur les chemins de pèlerinage : goûter la joie de vivre, goûter la joie d’être en vie. C’est la meilleure école pour apprendre à reconnaître ce qui rend chaque instant si savoureux.
Cela peut sembler tout simple, pourtant, il nous arrive de dérailler, de nous laisser illusionner par de fausses joies, de préférer une souffrance connue à une joie inconnue. Mais comment s’y retrouver? Ignace de Loyola distingue ce qui nous rapproche de la joie entre consolation et désolation. La consolation, étant le chemin de la joie véritable, doit cependant être discernée. Toute joie n’est pas consolation, et toute tristesse, peur ou colère ne sont pas désolation. Il faut apprendre à les reconnaître dans leurs racines profondes. En quoi cette joie correspond-elle au bon goût de la vie?
Trois postures permettent d’en préciser les enjeux : prendre appui, se laisser travailler et cerner l’orientation.

Il s’agit, tout d’abord, de déterminer sur quoi s’appuie ma vie et dans quelle mesure ce fondement est une référence essentielle pour mes choix. Il peut s’agir de valeurs, de foi, de principes ou encore d’une discipline, sur lesquels ma vie trouve sa force de résilience. On peut alors se demander : est-ce que j’effectue mes choix en fonction de ce fondement? Est-il juste? Favorise-t-il la vie, la mienne autant que celle des autres, ou l’éteint-il?
Dans un deuxième temps, il s’agit d’identifier cette énergie qui me touche et me travaille de l’intérieur, lorsque je suis troublé par une rencontre, un événement ou autre. Dans ces moments, qu’est-ce qui s’agite en moi? D’où me vient ce sentiment? Est-il en cohérence avec ce qui se joue dans l’instant, ou répond-il à de vieilles blessures? M’incite-t-il à reproduire des schémas de vie ou m’invite-t-il à élargir mes horizons? Me laisse-t-il en consolation ou en désolation?
Enfin, l’humain, n’étant que réponse aux mouvements intérieurs suscités par tout ce qui croise son chemin, oriente nécessairement sa vie en fonction de ces élans. Mais cette orientation est-elle la bonne? Où s’en va ma vie en répondant ainsi à cet élan qui me traverse? Quel goût tout cela laisse-t-il? En quoi cela correspond-il au fondement de ma vie? Suis-je en consolation ou en désolation en anticipant ce chemin?
Il ne faut pas perdre de vue que la joie dont il est question est plus profonde qu’un simple sentiment de surface. Je peux avoir le cœur déchiré et être dans la joie de la consolation. Nous avons tous fait l’expérience de cette conviction profonde, celle qui, du fond de l’intérieur, nous donne la force et le courage d’aller de l’avant, voire de renoncer pour le plus grand bien. Ainsi, et en toute chose, il convient d’être délogé pour entrer dans le bon goût d’une vie saine. Il convient d’apprendre à reconnaître comment l’effort de progresser vers un plus grand bien apporte la joie et la consolation d’avoir traversé diverses souffrances.

La joie n’est pas absence de souffrances. Au contraire ! Avancer vers un mieux-être implique souvent des souffrances, quel que soit le chemin choisi. La joie réside dans la traversée de cette souffrance qui conduit à un mieux-être : se remettre en forme, cesser de boire ou de fumer, perdre du poids, mettre un terme à une relation, affirmer sa juste place… Ces actions sont souvent difficiles. Sortir de ses habitudes, de ses croyances, de ses peines, est douloureux, parce qu’on y trouve un certain confort.
Selon Ignace, les chemins de la consolation reposent sur la FERMETÉ, la DÉNONCIATION et la FRANCHISE. Fermeté pour maintenir le cap de sa vie, en l’orientant avec assurance et détermination. Dénonciation de tout ce qui nous en détourne par dépendance. Franchise face à nos tentatives de nous raconter des histoires pour justifier des compensations illusoires. Les chemins de la consolation ouvrent sur une manière d’être en relation plus saine. Ils invitent à se situer dans la relation, non pour satisfaire les attentes des autres, mais pour se mettre à l’écoute de ce qui agit dans l’espace de la relation.
Lorsque je deviens conscient de cette dynamique, mes choix deviennent plus clairs et plus aisés. Pas nécessairement plus simples, mais plus aisés, car je suis plus apte à reconnaître et à sentir le chemin auquel je suis appelé. Dans l’écoute de cet espace, à la recherche du bon goût de la vie, dans une boîte de pick-up ou ailleurs, chacun peut trouver sa juste place.

Éric Laliberté
Merci! J’ai déjà ressenti cette joie de la boîte du pick-up alors que je m’y suis retrouvée avec d’autres collègues enseignants. Nous étions les nouvelles recrues pour enseigner à Puvinituq en 2010-2011. Alors que Maata Putugu, directrice adjointe de l’école IGUARSIVIK, nous transportait, chacun et chacune à ce qui serait notre résidence dans le Grand Nord.
Comment vous exprimer toute la joie et l’innocence qui nous habitaient à ce moment là. Grande était notre joie de découvrir un territoire si méconnu. Nous étions dans l’euphorie de la nouveauté. Elle devait nous porter pendant quelque temps. Le choc culturel serait tout aussi grand mais plus durable.
L’amère désillusion a vite balayé nos ambitions de découvreurs. La dure réalité des enfants induits est venue nous frapper de plein fouet.
Notre vie de blancs bien nantis bien vite confrontée à la vie rude et bouleversante des gens du Grand Nord.
Cependant, j’en garde des souvenirs impérissables de la majesté du territoire et de ces enfants qui, a l’air libre, sont des enfants comme nous l’avons été, épris de joie et de liberté.
Aussi joyeux que nous l’étions dans la boîte du pick-up et innocents, comme l’image du chien dans votre article qui anticipe une belle aventure, nous nous sentions remplis d’allégresse pour découvrir très tôt que nous n’en serions pas les maîtres à bord. Une grande leçon d’humilité pour les Allunats que nous représentons à leurs yeux.
Les vrais maîtres dans l’histoire, ce sont eux finalement.
Merci Rolande pour ce savoureux anecdote fait de souvenirs si puissants.
Éric
Correction: Qallunaat mot inuit pour désigner l’homme blanc.
Voir le savoureux film
de l’ ONF où le quallunaat est sous les projecteurs de l’inuit.
Titre: Quallunaat!
Quand la vie goûte bon
C’est le 8 janvier, date du retour à mon engagement de brigadière scolaire. Je me sens enthousiaste à reprendre ce service après le congé des Fêtes. Ce matin, un vent intense nous fouette le visage et nous oblige à bien s’équiper pour rester au chaud. En dépit de ce froid, j’éprouve une joie profonde d’être là, à revoir les enfants et un bon nombre de parents qui les accompagnent, à échanger de cordiales salutations à travers quelques mots, par le sourire ou par le geste de la main. A travers eux se croisent les travailleurs de la santé qui entrent au travail, quelques aînés de la résidence qui osent sortir marcher dans les alentours. Un beau mélange intergénérationnel que je côtoie régulièrement en me tenant là, tout simplement, à l’intersection qui m’est assignée depuis plus d’un an.
Un sentiment de reconnaissance m’habite, de pouvoir exercer ce service que j’ai choisi : au-delà de la satisfaction de pouvoir assurer la sécurité des enfants, je goûte le bon goût du plein-air et de l’interaction avec tous ces gens. Et pour comble de bonheur, ce travail à temps partiel me laisse du temps pour réfléchir, marcher, chanter, célébrer, enfin, il me laisse l’opportunité de choisir comment je désire m’investir dans la grande communauté humaine que nous formons.
Dans cette étape de ma vie senior, au fil du quotidien, je sens ma vie comme un pèlerinage qui goûte bon, enrichit par ces rencontres où l’amour est donné et accueilli sous de multiples formes.
Au moment où je me tiens au carrefour, une chanson de Jacques Michel me revient à l’esprit : « (…) Chacun son refrain, chacun son chemin, nous y arriverons bien(…) ». Et en murmurant ce refrain, j’ai l’image du chien heureux dans la boîte du pick-up… cette image me parle!
Merci Éric pour ta réflexion!
Merci Carmen! ❤️