Le poids ou le pas?
Proverbe tibétainNe te presse pas en marchant,
car où tu vas importe peu,
comment tu y arrives est tout. »
Partir en pèlerinage, c’est immanquablement questionner le contenu et le poids de son sac à dos. En chemin, on se compare et plus le sac est léger plus le pèlerin semble accompli. Les conseils pour alléger la charge du bagage sont multiples et les analyses psycho-pèlerines pullulent. Tout semble inciter à voyager le plus lestement possible. Quel est donc l’enjeu du poids du sac à dos dans le pèlerinage? À quel niveau se situe le réel défi dans ce déplacement de longue durée? Est-il vraiment dans le sac?
Certains diront qu’un sac trop lourd risque d’engendrer des blessures. Et, bien que ce soit exact, force est de constater que nombreux sont les randonneurs journaliers qui se blessent sans même porter de poids. Ampoules, tendinites, foulures, chutes peuvent apparaitre quel que soit le poids transporté. Le sac à dos n’est donc qu’un facteur secondaire. À la source de la problématique réside le marcheur. Sa manière de marcher est davantage à considérer et à observer s’il veut éviter de se blesser. Il doit apprendre à ajuster le rythme de sa marche en fonction de la température, du type de sol, du dénivelé, de sa condition physique et, bien évidemment, en fonction du poids qu’il porte sur ses épaules. Une écoute sensible des signaux du corps saura mieux le prévenir de souffrances que la légèreté de son sac à dos. L’enjeu n’est donc pas d’alléger son sac à dos, mais de moduler sa marche et de la questionner afin de déceler ce qui est à l’origine du comportement qui a occasionné la blessure. Pourquoi n’ai-je pas arrêté pour prendre soin de mes pieds? Pourquoi n’ai-je pas ralenti le pas dans la montée, dans cette descente abrupte? Pourquoi n’ai-je pas choisi d’écourter ma journée de marche?
Puis, il y a aussi ceux qui prônent la légèreté du sac pour la symbolique que cela évoque : voyager avec son essentiel, l’esprit léger, délesté des poids qui alourdissent l’existence. Ainsi, dans cette conception du pèlerinage, le sac à dos représente le « sac de vie ». Se départir de poids inutiles dans son sac à dos convie à se libérer des chaines et des attachements désordonnés qui oppressent le quotidien de la vie. Là encore, l’analogie est juste. Elle invite le pèlerin à regarder le superflu de son sac à dos à travers le prisme de ses peurs et de ses dépendances, lui révélant de ce fait une part de ces « poids » qui encombrent sa vie. Il demeure que parfois, dans notre vie, il est des « poids » dont nous ne pouvons nous départir. Enfant difficile, parent vieillissant, maladie subite, accident inattendu…, la vie met sur notre chemin des défis que nous nous devons de porter par fidélité envers nous-mêmes, par compassion envers l’autre, par amour. Ainsi, sachant qu’un poids est incontournable, que nous choisissons de le porter, la question du poids du sac ne se pose plus. La question est : maintenant, comment vais-je avancer avec ce poids? Comment vais-je continuer ma route sans trop me blesser? Comment vais-je marcher pour me rendre ce chemin agréable malgré et avec ce poids?
« L’essentiel » du sac à dos est un choix personnel qui correspond au chemin que le pèlerin désire vivre. Son poids est un poids choisi. Certains transporteront une tente, un kit de cuisine, un sac de couchage, une bouteille de vin. D’autres choisiront de porter une guitare, un appareil photo professionnel, un kit d’aquarelle, ou même un fer plat, un ourson en peluche, ou une bouteille de parfum. Tant que le pèlerin est en accord avec le poids porté alors c’est le juste poids pour lui! Le réel défi physique qui l’attend est en lui. Saura-t-il se rendre attentif à son pas?
Brigitte Harouni