La vraie vie
Souvent, alors que l’expérience pèlerine tire à sa fin et que les derniers jours s’étiolent, les pèlerins commencent à envisager leur retour en se disant : « Faudra bien revenir à la vraie vie! ». Cette fameuse « vraie vie », qu’en est-il exactement? À l’heure où plusieurs s’apprêtent à partir sur les chemins, il serait pertinent d’envisager se questionner : qu’est-ce qu’une vie vraie?
Si on se fie à ce qui se dit sur le chemin, il y aurait donc une vie vraie et une vie fausse. C’est déjà très bien que l’expérience du chemin nous permette d’en prendre conscience. Réaliser qu’il y a du vrai et du faux à vivre est extraordinaire! Cependant, l’équation qui place la vraie vie du côté du quotidien et la fausse du côté du chemin est peut-être un peu simpliste. En tout cas, ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air. Ça demande réflexion, de discerner ce qui est en jeu : de quoi est faite la vérité de ma vie? Qu’est-ce que je considère vrai dans ma vie?
Le ton sur lequel est évoqué cette éventualité d’un retour au vrai, laisse songeur. Comme si cette « vraie vie » manquait de saveur. Qu’il y avait une fatalité à retomber dans ses vieux souliers. Comme si cette vie rappelait à l’ordre, à la manière du parent qui crie aux enfants qui s’amusent : « Rentrez! Il est assez tard! ». Cette vérité a quelque chose de coercitif : en ramenant à la réalité, au « vrai », elle ramène sur le droit chemin!
Placer la vie du chemin du côté faux, laisse ainsi entendre que ce qui s’y vit est illusoire, qu’il y a du faux dans ce que j’y expérimente, dans ce que je goûte en route. Dire que la vraie vie n’est pas celle du chemin, sous-entend que le goût de ma vie n’est pas celui du chemin. Que ma vie se tient à l’écart de cette saveur. Il est important de considérer tout ce que cela sous-entend. Est-ce bien ce que je suis en train de dire?
Toujours en train de vivre, je ne vis qu’une seule vie. Lors de ces voyages, de ces pèlerinages, je ne fais pas un saut hors de la « vraie vie ». J’y suis toujours. Constamment, je vis. Et si parfois j’ai l’impression d’être « hors de la vraie vie », c’est peut-être pour ce que je m’y autorise de différent. Tout ce que je me permets d’hors normes et le sentiment que cela me laisse…
L’écart entre vrai et faux se situe davantage du côté de ce sentiment que me laisse ma manière de vivre et qui parle de ce qui fait autorité sur ma vie. Ce à quoi je donne de la place et qui a de l’emprise sur moi ou ce qui me saisit de l’intérieur et oriente ma vie. Aussi est-il de mise de se questionner : en quoi ma vie est-elle satisfaisante et selon quels critères? Ma vie s’articule sur quoi, sur quelle conception, quelles règles?
Lorsque vous serez sur le chemin prenez le temps d’observer le goût que laisse cette expérience. Interrogez cet écart entre vrai et faux. Qu’est-ce qui fait la vérité de ma vie? En quoi celle-ci me laisse-t-elle dans la satisfaction et comment? Quel goût me laisse-t-elle?
Vivre en vérité appelle à trouver l’origine de ce qui nous anime, de ce qui nous pose en « vrai » dans la vie. Lorsqu’on prend le temps de s’y arrêter avec sincérité, il arrive qu’on se rende compte qu’on a tout faux. Qu’on a inversé le vrai et le faux. Vivre en vérité demande alors du courage, celui d’accueillir la vérité de ce qui nous a construit : notre histoire et notre culture. Maintenant vais-je en rester-là ou puis-je me réclamer d’ailleurs?
La vie se reçoit. Elle ne se prend pas. Sa vérité est dans cette origine qui n’est ni culturelle, ni familiale. Or, si l’expérience du chemin a quelque chose de troublant, c’est qu’elle permet de contacter cet espace en soi. Lui seul peut nous sortir de cette dualité, nous en libérer, nous ouvrir à la « vraie vie ».
Éric Laliberté
Ouf! Et bien j’en suis là. Car à mon retour encore cette année et à chacune de mes marches pèlerines je ressens un grand vide, une insatisfaction. C’est difficile pour moi de cerner ce qui ne va pas. Comme si mon quotidien ne m’appartient pas. Je me sens comme une imposteure cherchant ma demeure. Avant ma retraite je me disais lorsque je retournerai marcher ce sera mieux car retraitée….
Et bien non, toujours ce mal être à l’intérieur qui me pousse à repartir. Pourtant, ma vie est belle avec ses hauts et ses bas, quelquefois des moments plus difficiles. Mais qui en a pas!?!
Je cherche. Je me cherche.
J’aime ÊTRE une pèlerine tout simplement même si ça n’explique pas tout.
Jacqueline 🌼
Très beau texte Éric, plein de nuance. Effectivement, cette vie, qu’elle soit à Compostelle où dans notre quotidien, c’est notre vie. À nous, avec les multiples contraintes parfois, d’y trouver cette sérénité que l’on retrouve plus souvent sur les chemins. Faire des choix pour être bien et heureux malgré les vicissitudes de la vie. Bonne route ! Richard, animateur ADQC Laval-Laurentides.