Là où il fait bon vivre
Il y a de ces lieux qui suscitent un bien-être et qui nourrissent le goût de vivre. Qu’il s’agisse d’une marche en forêt, de flâner dans un parc ou de contempler un lac, il y a du « bon » à être « là ». Le corps s’en trouve détendu, le souffle s’approfondit et l’esprit s’éclaircit. Or, s’il fait bon y vivre, c’est que tout mon être habite le lieu d’une certaine manière. Ce n’est pas un simple concours de circonstance!
Alors que la plupart d’entre nous sommes rentrés d’une expérience pèlerine, celle-ci demande à être relue sous cet angle : s’il fait bon vivre sur les chemins de pèlerinage, c’est que je m’y dispose et que ma disposition contribue à en faire un tel lieu. Le film « La vie est belle » l’illustre bien. Alors que l’acteur principal joue de sa personne, il parvient à faire d’un camp de concentration un lieu tout autre aux yeux de son fils. Sa manière d’habiter le lieu change le regard.
En tant que pèlerin, nous éprouvons souvent une profonde gratitude envers l’expérience des chemins, comme si un bon père veillait sur nous et faisait en sorte que cette aventure soit fabuleuse. Générosité, simplicité, entraide et convivialité semblent alors y être inscrits de toute éternité. Pourtant, ce qui se manifeste comme fruit du lieu est davantage le fruit d’une manière de l’habiter, une manière d’être en relation. Cette disposition, de cœur et d’esprit, favorise le climat pèlerin dans l’heureux croisement d’une multitude de vecteurs humains. Il importe donc de considérer comment me suis-je disposé à vivre le chemin? Quels étaient mes désirs, mes attentes? Quelles étaient mes craintes? Dans quelle mesure étais-je en recherche de contrôle ou prêt à m’abandonner à l’expérience du chemin? La manière d’être qui découle de ma disposition a nécessairement un impact. Or, plus les résistances sont fortes, plus le pèlerin cherche à rendre le chemin conforme à ses attentes et, par opposition, ce dernier s’installe alors en adversaire. Il devient un chemin à abattre, une épreuve à vaincre. Stressant et épuisant, il exige bien plus qu’il ne donne.
En contrepartie, en accueillant sa vulnérabilité face à l’expérience du cheminement, le pèlerin s’installe dans une posture d’ouverture et d’accueil. Celle-ci le dispose à recevoir avec gratitude ce qui se présente à lui, sans considération. Il s’ajuste et apprend dans le mouvement du cheminement, avec ses hauts et ses bas. Pèleriner c’est ne pas s’installé, mais habiter l’espace de la fluidité. L’expression « là où il fait bon vivre » appelle ainsi au mouvement par le « là » qui l’introduit. En étant « là », le bon vivre auquel l’expression renvoie déplace le regard vers un ailleurs qui n’est précisément pas « ici ». Au contraire, il pointe vers l’horizon d’un « bon vivre » et le pèlerin marche vers cet horizon. Au fil de ses pas, il s’en approche et le fait grandir à travers son cheminement.
Dans cet ailleurs, le « bon vivre » se « fait ». Il se fait comme on dit : « il fait beau », « il fait bon » ou « il fait noir ». À remarquer, ce n’est pas « je » qui fait, mais « il ». Quand il fait beau, bon ou noir, c’est d’un autre dont il est question. Ce ne sont pas « je », ni « tu » qui font, mais bien « il », comme le bon père de ce film. Dans un tel contexte, le « je » du pèlerin aspire au « bon vivre » comme don d’un autre, d’un Tout Autre, et ça le dépasse.
Avec l’arrivée du temps frais, il nous prend souvent l’envie de nous emmitoufler, de passer des soirées au coin du feu, de laisser mijoter des plats qui embaument la maison. Notre manière d’habiter le lieu fait en sorte qu’il fait bon y vivre. Cependant, même si j’ai allumé le feu dans le foyer, ce n’est pas moi qui fais la chaleur; et même si j’ai mis le rôti au four ce n’est pas moi qui en dégage le fumet. Il en va alors d’un jeu de mise en relation qui construit quelque chose qui dépasse ma seule personne. L’expression n’a donc rien de statique. Il ne suffit pas de s’installer dans un lieu précis pour que le « bon vivre » se manifeste. Le « bon vivre » se fait par une manière d’être en relation, une manière d’habiter un lieu, une manière de s’y disposer.
Éric Laliberté
Merci pour ce magnifique texte. Merci d’apporter des éléments de réflexion pour faire en sorte que le pèlerinage se poursuive au quotidien. Ça, c’est un défi mais c’est possible!
De bien belles réflexions. Il me faudra retourner sur le Chemin pour le vivre avec moins d’attentes et plus de spontanéité que mon expérience de 2019. M’abonsonner au chemin j’en ai vraiment envie car je compte bien y retourner l’an prochain. Je pense qu’on peut apprendre un peu plus sur nous et sur les autres pendant ces journées qui se déroulent simplement. On voudrait bien aussi que tout soit simple quand on rentre mais ce n’est pas toujours le cas. Accepter que la vie se déroule avec ses hauts et ses bas ( on traverse des montagnes et des vallées).