Le jeu des contrastes
La clarté ne nait pas de ce qu’on imagine le clair, mais de ce qu’on prend conscience de l’obscur.
Carl Gustav Jung
On dit bien souvent que le pèlerin quitte sa demeure et son quotidien en quête d’un vivre qui lui soit meilleur. On tend à dire qu’il s’extirpe d’un contexte de vie inconfortable avec l’espoir de trouver ailleurs, au cours de ses longues pérégrinations, réponse à un malaise qui le taraude, à un questionnement qui tourbillonne sans jamais atterrir ou à un relent d’insatisfaction qui affadit le goût de sa vie journalière. Ceci laisse croire que toute personne qui pèlerine n’est pas heureuse dans son monde habituel, et qu’à son retour de pèlerinage, transformée par son expérience, elle chamboulera complètement son décor initial. Dans les faits, tout n’est pas totalement noir, ni totalement blanc.
S’il est vrai que chaque départ est initié par un désir de changement, par l’envie de se faire du bien, d’accéder à mieux que ce qui est présentement, cela ne signifie pas pour autant que ce qui est quitté n’est plus du tout appréciable. Mais comme pour toute bonne chose, il y a toujours place à une certaine amélioration. Le pèlerinage offre ce temps d’arrêt pour sortir du train-train qui s’est instauré, de cet espace où tout semble confondu tellement l’habitude l’a façonné. Tout y est tellement familier et tissé serré qu’il en devient difficile d’y voir clair. L’idée de tout quitter met en effervescence l’être du pèlerin. Cette bouffée d’énergie qui le ravigote et donne une nouvelle couleur à ses journées, met une première fois en évidence qu’un vivre autrement existe. Mais quel est-il? De quoi serait-il fait?
Dans cette marge artificielle qu’est le chemin, le pèlerin voit les choses sous un angle nouveau. Dans cette parenthèse de liberté, loin du cadre bien rodé et structuré de son monde de connus, il est déstabilisé. Il s’extasie et se fâche, savoure et souffre, rit et bougonne. Les contrastes sont marqués et marquants. Il se délecte de certaines facettes de cette vie de nomade et regrette profondément certains aspects de sa vie antérieure. Dans ce jeu des différences, le pèlerin distingue avec plus de clarté ce qui l’identifie et précise ce qu’il attend de la vie.
Cet effet de contraste continue de se jouer lors du retour à la maison. Alors que le voyage semble terminé, l’expérience pèlerine, elle, se poursuit. La mise à distance de sa vie, l’absence et le manque ressentis font ressortir avec plus de vivacité les couleurs des diverses composantes qui forment la mosaïque de sa vie. Déjà, sur le chemin du retour, une hâte, une excitation, habite le pèlerin. La simple idée de retrouver certains éléments de son univers personnel le fait frétiller de joie. Il se réjouit à l’avance du plaisir de les ravoir à nouveau auprès de lui. Mais, en même temps, son estomac se noue et des tensions se ressentent en pensant que certaines facettes de sa vie seront également prochainement présentes à lui. Le sentiment de les retrouver le tiraille et le torture. La mise en relief est manifeste. En se rendant attentif à ces mouvements intérieurs, le pèlerin discerne la lumière qui se fait en lui. Ce qu’il désire ou ne désire plus devient plus net, plus clair.
Le pèlerin, comme nous tous, aspire à une vie toujours un peu plus heureuse, un peu plus ajustée à la personne qu’il est. Nul besoin de partir marcher des kilomètres durant pour souhaiter tendre chaque jour davantage vers un peu plus de bien-être, mais l’expérience pèlerine accentue et facilite l’exercice de discernement. Ainsi, la vie que nous menons est généralement déjà bien savoureuse. Nous avons travaillé durant toute notre vie en ce sens! Mais, comme tout est en perpétuel changement, … comme le charpentier qui trouve toujours quelque chose à rénover ou à restaurer sur sa maison, comme le jardinier qui entretient soigneusement son coin de potager, comme l’oiseau qui parfait chaque année son nid, comme l’escargot qui agrandit graduellement sa coquille, …il nous faut continuer d’œuvrer pour nous assurer que la vie demeure à notre goût.
Brigitte Harouni
Merci pour ce texte… je me reconnais dans celui-ci pour être allée marcher seule 60 jours sur le camino Frances en 2015. Tous ces contrastes, je les vis encore tous les jours. Et ça me manque d’être sur ces chemins de liberté mais la vie nous ramène assez vite à notre quotidien auquel on voudrait échapper quelques jours… voir quelques semaines. Ce n’est malheureusement pas toujours possible.
Je vous lis et vous suis sur Facebook et vous trouve très inspirant tous les deux.
Encore merci de partager vos réflexions…
Un tres beau texte . Partir sur le Chemin nous donne des ailes , on ne sait trop ce qui va se passer en dehors et en dedans de nous mais le retour peut-être difficile ou agréable ..tout dépend de la facon dont on voit la vie, notre Chemin de vie. Bref. après être rentrée de mon Camino en 2019 j’ai écrit et finalement mon livre ON FOOT IN FRANCE vient d’être publié et est disponible sur Amazon. Pour moi ce besoin d’écrire mon aventure m’a aidé à faire la transition avec la vie de pèlerin et la vie de chez-moi. Mon livre est en anglais pcq je vis à Vancouver mais il sera aussi disponible en francais (autre titre, texte modifié), j’espere au début de 2023. Je l’annoncerai sur mon blog comme j’ai fait pour le livre qui vient de sortir… Bravo encore pour ce très beau texte que je vais partager avec mes amis connus sur le Chemin.
Ce beau texte, me fait prendre un moment pour examiner en profondeur ma réalité du moment. Est-ce que j’ai un problème, là, maintenant ?? Je m’arrête un instant et j’observe mon corps, mes sensations, mes perceptions. Le problème est-il particulier pour qu’il demeure dans ses profondeurs. Si je constate aucun problème en ce moment, alors je ne me laisserai pas envahir par mes fantômes du passé. Je ne me laisse pas détruire par les projections du futur ou du passé. Ce ne sont que des fantômes.. Ça explique souvent que nous nous entraînons à être toujours dans le moment présent. C’est ma voie…celle de la réconciliation.
D’un retour de Compostelle où j’ai marché quelques chemins et fait pas mal de km, ce texte me parle. Comme tu le dis, les contrastes sur le chemin sont saisissants et nous permettent d’y voir plus clair, de distinguer ce que l’on veut ou ne veut plus de notre vie. Étrange phénomène que j’atriiburais à une augmentation de la conscience de soi. Il est aussi vrai que j’avais hâte de retrouver du confort à mon retour chez moi, mais après 1 mois, j’étais prêt à repartir. Le chemin m’appelle de nouveau et je repartirai en avril 23, cette fois-ci avec ma belle aînée qui « goutera » à ce chemin pour la 1ère fois. Très hâte de marcher de nouveau. Très beau texte Brigitte. Mes salutations xx