Avec le temps…

Avec le temps…

2022-03-25 2 Par Éric Laliberté

Avec le temps va, tout s’en va, chantait Ferrée. Le temps fuit comme la rivière dévale en cascade, comme le vent balaie la rue, comme la nature se renouvelle. Là où s’étendait une mer à perte de vue est aujourd’hui un désert. Des fonds marins sont devenus des montagnes. Des cours d’eau ont façonné des rochers. Le temps change la nature et agit de même sur l’humain. Les préoccupations, les efforts, les peines, les joies d’hier ne sont plus et ne reviendront plus, pas de la même façon en tout cas. Ce qui passe est toujours altéré. Les modes de vie changent, les cultures sont transformées, les rapports sociaux ne sont plus les mêmes. Avec le temps, tout passe!

La vie est le fruit du temps, en elle s’inscrit son passage. Jamais fixée, elle bouge, se transforme, se renouvelle. Les pratiques pèlerines contemporaines, celles qui émanent du modèle Compostelle, rappellent ce mouvement en nous plongeant dans une spiritualité de la mobilité et de l’impermanence. Elles nous rappellent l’éphémère de la vie, mais aussi sa durabilité. Car, la vie n’est durable que parce qu’elle se transforme. C’est notre compréhension de l’éternité qui fait défaut.

L’éternité est trop souvent espérée comme situation qui n’en finira plus d’un bonheur fixe, toujours pareil. Une telle perception est contraire à tout mouvement vivant. Ce qui ne bouge plus, se meure ou est mort. L’eau qui stagne. L’arbre sec. Ce n’est pas sans raison si ces tableaux, qui fixent des scènes de la vie courante, nomment ces scènes des « natures mortes ». Sur ces tableaux, quelque chose est passé, il ne reste que des objets inanimés. La photo de famille au mur du salon est de cet ordre et ne fait que rappeler que cela n’est plus, que nous n’en sommes plus là.

Tout l’univers s’anime sur un élan originel, celui du Big Bang.

L’éternité du temps, de l’espace, de la vie s’inscrit dans cet élan qui propulse en avant, qui ne s’attache pas, ne possède pas, n’enferme pas, mais s’attend au changement et à la nouveauté, et vit de ces transformations. La vie est faite de surprises sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. Nous savons qu’il va pleuvoir, mais nous ne savons pas quand. Nous savons que la pluie cessera, mais nous ne savons pas quand. Nous savons que la mort viendra, mais nous ne savons pas quand. C’est cependant sur le déséquilibre provoqué par ces imprévus du temps, par ce qui vient à manquer et oblige à passer, que la vie peut s’épanouir et grandir. Pas de papillon sans que la chenille prenne fin! Aussi, est-ce sur l’impermanence que se fabrique la joie à partir de l’espérance et de la confiance que nous mettons en ce qui est à venir. L’éternité est faite d’espérance.

Pèleriner replace dans ce contexte d’éternité où le temps s’écoule librement et dans lequel j’avance en apprenant la joie de ce qui passe et ne revient plus. Lors de tous ces voyages qui deviennent pèlerinages, l’impermanence expérimentée permet de goûter, avec intensité, cet espace vital qui refuse d’être fixée dans un temps qui réduit la vie à un seul instant. Pour vivre pleinement, le « Je suis » qui est inscrit en chacun de nous est appelé à se transformer continuellement. Mourir un peu plus chaque jour, c’est vivre. Y résister, voilà ce qui est mortel!

Éric Laliberté