Jamais plus jamais!

Jamais plus jamais!

2021-10-22 3 Par Éric Laliberté

On l’a tous déjà dit : Jamais plus jamais, on ne m’y reprendra! Jamais plus jamais, on ne se moquera de moi! Jamais plus jamais, on ne me traitera de la sorte! Jamais plus jamais, je n’aurai peur de toi! Jamais plus jamais. Ce « jamais plus jamais », c’est aussi le Never Neverland, l’Île Imaginaire où s’est réfugié Peter Pan et toute une bande d’enfants perdus!

Lieu de révolte, cette île imaginaire s’est construite en opposition à ceux qui piratent l’enfance et la pervertissent. Sous la figure du Capitaine Crochet, toute une armée de pirates pourchasse ces enfants qui ont refusé de grandir et de répondre aux standards fourbes d’une vie d’adulte. Blessés, apeurés, ils se sont recroquevillés sur cette ile, à l’abri de tous, et se sont jurés que : jamais plus jamais, ils ne s’y feraient prendre! À la tête de cette rébellion, Peter Pan dont les pouvoirs sont décuplés. Grâce aux bons soins de la fée Clochette, il vole et échappe avec adresse à tous ses pirates.

Jamais plus jamais, c’est le refus de la négation. Plus précisément, de la négation de soi. Car pirater, c’est détourner à d’autres fins. Asservir l’autre à ma cause, en le détournant de ses projets, en l’absorbant dans mon univers. Or, l’enfant désire exister. Toutes les fibres de son être le réclament. Il est venu au monde pour cela! Sans cesse, il s’amuse et joue de son humanité, explorant les mille et une facettes de ce qu’il est.

Hélas! Vient un temps où, étouffé dans son élan, à la frontière de l’enfance, il sent l’étau des pirates se resserrer sur lui. Les coloriés n’ont pas leur place dans ce monde, surtout s’ils ont du potentiel! Alors ils crient, révoltés : JAMAIS PLUS JAMAIS!

Mais dire jamais plus jamais, c’est dire toujours…

Arrêter le temps. L’arrêter juste à temps. Juste avant que la vraie bataille ne commence. Le retenir indéfiniment et… se prendre au piège de cette éternité capitonnée!

Pour ne pas être détourné, piraté dans son être, c’est ce qu’a fait Peter. Il a préféré se replier dans un monde imaginaire, à l’abri d’une éternelle jeunesse qui autorise tout. Il a préféré « flyer », anesthésié par la poudre de Clochette, et s’imaginer qu’il combattait les pirates.

J’ai une fille merveilleuse que le monde angoisse. Elle a choisi le même chemin que Peter. Incapable de naître à elle-même, elle a préféré se réfugier dans un univers de poudre et d’itinérance. Elle a choisi de vivre parmi les enfants perdus d’un certain pays imaginaire, effrayée par l’âge adulte et tout ce qu’il représentait à ses yeux. 

La peur fait souffrir, comment ne pas résister à l’envie de s’anesthésier!

D’ailleurs, combien d’entre nous y résistent vraiment?

Sonder bien le cœur de vos échappatoires avant de lancer la première pierre.

Le refus d’une certaine conception de l’âge adulte n’a cependant rien à voir avec la maturité que celle-ci semble évoquer. Si les parents mettent au monde dans un travail génétique, naître à soi-même est un travail de longue haleine qui s’effectue, seul, par distinction, dans une continuelle redéfinition relationnelle : « Je serai libre d’être moi quand je me serai situé librement face à toi et que je n’aurai plus peur d’être dévoré ». Car l’autre n’est pas un miroir, il est seulement le témoin de ma différence!

La bataille contre les pirates se gagne ainsi, dans la lucidité de ce qu’ils sont.

Et s’ils me révèlent à moi-même, c’est bien par leurs diffamations.

Il y aurait donc lieu de se réjouir de ce qu’ils ont su, malgré eux, attiser la flamme de mon être en soufflant sur les braises de mon désir.

Éric Laliberté