Retrouver l’espace de vivre
La bouffée d’air que nous allons retrouver aujourd’hui sera des plus bénéfique. Après tous ces mois de réclusion, de vie dans un bocal, il convient de reprendre le « cours de la vie ». Sortons de nos aquariums et allons retrouver le lit de nos rivières. Laissons-nous prendre par la vie vivante! Nous avons besoin de retrouver cet espace, de redonner du mouvement à nos vies, de sentir le vent sur notre peau. Et l’expression le dit bien « la vie suit son cours »! N’oublions pas que nous sommes des enfants de la Vie et que, nous aussi, nous sommes fait de ce mouvement.
Bien entendu, il arrive parfois que nous ayons l’impression de passer à côté. Des moments, comme les mois qui viennent de s’écouler, nous en avons connu dans nos vies! Ils donnent le sentiment d’être coincé, de se retrouver sur une voie sans issu, que ça ne bouge plus!
Sans crier gare, nos vies se sont engorgées. La tâche a pris le dessus et la productivité s’est imposé au détriment d’un art de vivre. L’excessivité l’a emporté et l’ego s’est noyé dans son propre délire. À ce rythme, vient un temps où il n’y a plus de place pour la vie elle-même. Et quand il n’y a plus de place pour vivre : la vie s’éteint. Lentement, on perd de sa vitalité. L’énergie n’y est plus.
Pour aviver les braises avant qu’elles ne s’éteignent, il devient urgent de retrouver l’espace de vivre, d’en dégager ses allées et de lui redonner du souffle. La vie a besoin d’espace pour respirer. Comme une grande bouffée d’air après avoir été trop longtemps sous l’eau, il faut savoir émerger de ses encombrements.
La vie engendre la vie et si parfois elle semble absente, c’est qu’elle couve quelque chose et qu’il y aura plus de vie. Des temps d’hibernation, de cocons, de dormances sont souvent nécessaires pour que la vie reprenne avec vigueur. Mais comment discerner si ces temps sont bénéfiques? Comment entendre ces besoins de repos et de silence? Quels sont ces signes qui disent que ma vie s’aligne sur un mieux-être, qu’elle engendre du meilleur autour d’elle? Qu’elle se situe dans ce que certains psychologues appellent le « flow » : cette zone de satisfaction, de joie spontanée et durable? Comment discerner cet espace à vivre qui donne du souffle et de la vigueur?
Le discernement! Quel mot! Pourtant si on s’y arrête il dit clairement ce qui est à faire : dis-cerner. Avant de cerner, de mettre le doigt sur le bobo, il faut dis-cerner, c’est-à-dire sortir de nos cloisonnements et observer la situation en vérité : dans « toute » sa vérité. Discerner invite ainsi à s’arrêter pour regarder l’ensemble de ce qui présente à soi, pour ensuite cerner ce qui entrave le mouvement de la vie, puis cerner ce qui donnera l’espace de vivre. Une fois ce travail de réflexion accompli, il y aura nécessairement des choix à faire…
L’excessif cherche à contrôler le cours du ruisseau; alors que le ruisseau, dans le mouvement de la vie, est malléable et s’adapte à son environnement.
Dis-cerner consiste alors à faire l’inventaire de ce qui engorge ma vie. Il s’agit de mettre sur la table toutes ces accumulations faites au fil du temps (autant matériel que psychique), afin de cerner ce qui est nécessaire, vitale. Discerner implique donc de faire des choix, des choix « sentis ». Tout mon corps me parle de ces choix, de ces bons choix. Ceux qui donnent du souffle. Je dois cependant prendre gare aux élans qui cherchent à satisfaire mon ego et retrouver la source de ces choix qui s’effectuent en vérité. Car ce choix en vérité ne vient pas de moi, il me dépasse et je ne peux que goûter le bon goût de sa justesse. C’est dans ce bon goût que réside sa vérité.
De lui-même, le désencombrement de l’expérience pèlerine, qui s’apparente à confinement, suscite cet espace. Il ouvre la porte de nos encombrements et nous en libère… à tout le moins il effectue le travail de surface, pour un temps. Il faudra être lucide pour la suite. Il y aura un effort de franchise à faire pour que le reste s’accomplisse. L’exercice pèlerin invite alors à savourer les bienfaits de cet espace pour les goûter pleinement et en prendre conscience. Il invite à relire sa vie : de quoi était-elle engorgée? Lentement des éléments commencent à se préciser et le discernement peut s’accomplir. Il devient alors possible de cerner le juste choix, celui qui fera en sorte de dégager l’espace de sa vie.
Songeons alors à dégager des ouvertures. Faisons de nos vies les plus belles dentelles bretonnes! Ouvrons portes et fenêtres. Aménageons des trous dans nos horaires et nos agendas. Laissons la vie entrer à plein! Lorsque l’espace est dégagé, il est possible de circuler et des liens peuvent se créer.
Au cours des jours qui viennent, alors que le temps de déconfinement qui débute semble annoncer plusieurs ouvertures, il faudra cependant être vigilant et faire appel au discernement: est-ce que ces ouvertures annoncent plus de vie ou relèvent-elles tout simplement de l’encombrement?
Ainsi, pèlerin et pèlerine ne multiplient pas les tâches et les activités, ils se concentrent sur l’espace du vivre : celui qui s’exécute en chacun de leurs pas. Comme le ruisseau, ils habitent le mouvement de la vie et y trouvent leur accomplissement.
Éric Laliberté
Bonjour Éric, Merci pour cette bouffée d’air frais. Je me suis offert le plaisir et le privilège de maintenir ma marche quotidienne de 2 heures dans la nature environnante tout au long de la pandémie. Cette bouffée d’air est bien accueillie mais elle s’inscrit dans la continuité sur le plan personnel, avec le gros avantage d’élargir les opportunités de rencontres avec les êtres chers. J’aime ta réflexion qui s’en suit sur l’importance du discernement appelant à la vigilance. Hier, je donnais à nouveau ma conférence « Bien vieillir, malgré tout » dans laquelle j’aborde les vertus susceptibles de prendre place durant notre vieillesse et j’avais ajouté le discernement. Belle convergence d’idées. Merci pour cette réflexion, j’enrichirai la présentation de cette vertu à la lumière de ta réflexion en te mettant en référence. De plus, j’ai bien souri à voir une de tes photos jointes car j’ai une photo similaire d’un cœur découpé dans une persienne de bois, prise chez un ami pèlerin en Alsace.
Merci Éric et que ton déconfinement soit aussi agréable que la lecture de ton texte!