Renaitre à soi-même

Renaitre à soi-même

2021-05-14 0 Par Brigitte Harouni

Il faut du temps pour bâtir une personne libre.

George Santayana

Sur le dur chemin de la vie, entre la naissance et la mort, nous connaitrons bien des transformations. Certaines seront désirées, tandis que d’autres se réaliseront sous la contrainte. Ce parcours pèlerin aux paysages multiples présente des niveaux de difficultés très variés et un balisage aléatoire nébuleux. Il est donc malheureusement bien facile de s’y perdre…

Les premières années de croissance, tout comme les premiers jours de pèlerinage, sont faites d’émerveillement, de découvertes et de collectes. Tout mon être est à bâtir! Je butine de rencontres en expériences, œuvrant à façonner ma personnalité, accumulant des attitudes et des aptitudes qui forgeront mon identité. Sur cette route, des épreuves surviennent qui me déforment, me détournent de ce que je me sens appelée à vivre. Pour traverser ces moments difficiles, pour y survivre, je dois m’adapter. Je compense. Je refoule. J’encaisse. Et ainsi, sans m’en rendre compte, lentement, je m’éloigne de moi-même. Involontairement, inconsciemment, un jour à la fois, un pas à la fois, j’ai dévié de cette trajectoire qui était la mienne. Je me suis moulée, carapacée, masquée.

Rendue au milieu de mon itinéraire de vie, j’ai déjà connu bien des petites morts. Comme le pèlerin qui se départi de ce qui ralentit sa marche et alourdit son pas, certaines m’ont été nécessaires, voire bénéfiques. Mais d’autres me taraudent et éveillent en moi, une pointe de rébellion. Une part de moi refuse de se laisser éteindre. Par peur d’être blessée, jugée, rejetée, j’ai tenté de la faire taire, de l’oublier, de l’ensevelir et de l’abandonner dans le passé. Je me suis reniée.

Puis vient un jour où je réalise que la vie m’a bien changée. Comme le pèlerin qui constate qu’il ne voit plus les signes de sa route depuis un bon moment, j’ai le sentiment de m’être un peu perdue quelque part sur le chemin de ma vie, aiguillée par un monde extérieur, par des critères qui ne sont pas les miens.

Qu’est devenue cette fille audacieuse qui aimait l’aventure, celle colorée qui affichait fièrement sa différence, celle passionnée qui consacrait du temps à son art? Où est cette jeune femme qui avait le courage de ses opinions, qui était fonceuse, qui rêvait de vivre de sa passion? Qu’est-il arrivé à cette adolescente qui avait une vie sociale animée, à celle qui se ressourçait dans la nature?

Ce passé savoureux fait partie de moi. Cette force, cette qualité, cette manière d’être sommeille encore en moi. Aujourd’hui, habitée par la sensation de ne pas être pleinement libre d’être moi-même, je sens en moi le désir de la retrouver. Renaitre à moi-même, c’est entendre l’appel profond de cette part perdue qui avait bon goût pour la laisser à nouveau s’exprimer. C’est m’autoriser à exister telle que je suis, oser suivre cette voie qui me caractérise et me distingue de l’autre. Pour renaitre, comme le pèlerin égaré, je dois revenir sur mes pas. Relire ma route. Découvrir la source de cet égarement. Et oser cette fois-ci la contourner. M’affirmer. Être vraie avec moi-même. Sur ce chemin d’amour de soi, de pardon, de guérison et d’accueil, j’apprends à me libérer du poids du regard de l’autre, et du poids parfois encore plus lourd, de mon propre jugement envers la personne que je suis.

Renaitre à soi-même, plus qu’un simple épanouissement personnel, permet de sentir germer au fond de soi-même un espace de vie que l’on tenait pour mort. C’est désirer retrouver sa voix/voie authentique et se mettre en marche vers soi-même. Si naitre signifie « prendre son origine » alors renaitre, c’est reprendre son origine, revenir à l’essence même de son être pour exister en vérité.

Brigitte Harouni