Faire l’expérience du chemin
Quand je pense à ces longues marches et tous ces chemins que j’ai pu fréquenter au cours des vingt dernières années, il me revient des scènes, des visages, des émotions, des odeurs et des saveurs qui ne cessent de nourrir mon goût de vivre. Mon expérience du chemin est faite non seulement de paysages et de découvertes, mais aussi de sourires, de rires, de difficultés, de découragements et de fierté. Ce que j’en retiens cependant, c’est que cette expérience, dans l’innocence du moment, m’aura surtout appris que ça goûte bon d’être en chemin!
Sur les routes pèlerines, j’ai expérimenté la sérénité d’une plage déserte aux Îles-de-la-Madeleine; le réconfort de cette descente vers Conques, où après 30 km de marche sous un soleil de plomb, épuisé, des amis pèlerins attablés dans un café m’ont accueilli avec des cris de joie et des applaudissements. Il y aussi cette fête, dans un hôtel de Cap St- Yvon, où au terme de notre marche des pèlerines gaspésiennes nous ont fait danser et chanter toute la soirée. Je me rappelle ce ruisseau, juste avant Zubiri, où j’ai trempé mes pieds qui n’en pouvaient plus. Il y a cet oisillon qui s’est posé sur mon épaule pour se reposer. La petite Colombe, 9 ans, en charge de guider l’âne qui portait les bagages de toute la famille et qui en avait marre que tout le monde lui dise qu’elle était belle. Il y a le sourire de Christiane qui me rappelait de lui laisser les figues du bas. Il y a Francis qui pensait toujours à me demander si je voulais qu’il me réserve un lit dans le prochain village. Il y a cet espagnol que je ne connaissais pas qui m’a offert une bière après avoir traversé la Meseta. Il y a ce moment où, à la suite de blessures aux pieds, j’ai pris conscience que mon pas était celui de la performance et non celui qui s’harmonise à la vie. Il y a toutes ces rencontres qui m’ont mis face à mes difficultés relationnelles et m’ont incité à changer d’attitude, à me faire proche : étranger parmi les étrangers.
Ainsi, certains disent que l’expérience du chemin consiste à croire par les pieds. Mais, croire en quoi exactement? Mon expérience me dit qu’il s’agit de croire que mes pieds peuvent me renseigner sur ce que la vie a de bon dans leur lecture de ce voyage sur terre. Ils sont ce contact direct avec le sol qui parle du voyage, une mise en relation qui pointe vers un horizon et conduit vers un ailleurs, mais ils transmettent aussi à la verticale. Ce sont eux qui parlent au coeur et à la tête du ressenti de l’expérience : ils nourrissent l’esprit de la marche. Non seulement mes pieds apprennent-ils de ce pèlerinage, mais ma tête et mon cœur en sont bouleversés. Croire par les pieds autorise la tête et le cœur à entendre ce que ses pieds ont à dire : comment parlent-ils de la vie, qu’en révèlent-ils? Point de jonction entre l’horizontalité de notre humanité et la verticalité de notre spiritualité, faire l’expérience du chemin passe en bonne partie par les pieds.
Tous ces souvenirs, tout ce vécu sensible, constituent ainsi mon expérience du chemin. Celle-ci m’invite à renoncer aux barricades personnelles, à me laisser toucher et éprouver le chemin dans tout mon être, dans toute sa saveur. Non seulement le chemin, mais tout ce que cela implique. En cela, l’expérience est concrète. Elle permet d’acquérir une connaissance pratique de la vie : j’y ai appris à marcher, à tendre la main, à goûter la vie, à trouver l’amour en toute chose. Rien ne saurait faire taire le fruit de cette expérience!
Éric Laliberté
Ce merveilleux texte fait écho en moi à tellement de beaux moments gravés en mon coeur, en mon corps et en mon âme.
Vive la marche pèlerine et nos pieds
qui sont des enseignants si précieux.
Merci Éric! ⭐🌞🌝
Merci Éric pour ce très beau texte, de ce que l’expérience du chemin a de plus intensément vivant, ressenti par nos cinq sens mais aussi au cœur et à l’âme. Tu as bien raison, ça goute bon d’être en chemin, d’être présent à l’instant sur ce chemin.