Savoir ou ne pas savoir, telle est la question
C’est la nature du savoir de changer rapidement et de transformer les certitudes d’aujourd’hui en absurdités de demain.
Peter Drucker
Les sources de savoir sont partout, accessibles à toute personne. Tout ce qui se cherche, se trouve. Tout se sait. Et chacun est à tout moment en quête d’un savoir. On le recherche. On l’acquiert. On en fait étalage. On le partage. Nulle question ici de trouver une vérité, mais plutôt de posséder une réponse.
Pourquoi ai-je tant besoin de savoir?
De nos jours, celui qui prévoit faire un pèlerinage a le privilège de pouvoir dénicher une multitude d’informations pour se faciliter la route. Il peut, avant même de partir, voir quelle température il y fera, quels dénivelés il aura à affronter, combien de kilomètres sépareront ses hébergements, combien il lui en coûtera pour se loger et se nourrir. Il peut également voir les lieux et se promener virtuellement sur son futur chemin, lire des témoignages ou voir des vidéos des pèlerins qui l’auront précédé. Rares sont ceux qui se lanceront sans avoir recueilli une bonne dose d’informations. Le pèlerin d’aujourd’hui connait le chemin sans y avoir fait un seul pas.
Quelle information me préoccupe davantage ? Que m’apporte l’information que je retiens? Quel effet produit-elle en moi?
Le savoir que cherche le pèlerin parle de lui. Il est alimenté par cette part de lui-même qui n’est pas comblée, qui se sent lésée ou qui est blessée. Son désir de connaitre et d’anticiper est à la mesure et à l’image de ses zones d’inconfort, de ses fragilités ou de ses peurs. A-t-il peur de se perdre, de se blesser, de manquer d’argent? A-t-il besoin de montrer qu’il est en contrôle, bien organiser? A-t-il besoin de faire envie, de briller en exhibant son projet à venir? Sa récolte d’informations répond inéluctablement à un besoin. Le pèlerin puise dans ce savoir un sentiment de sécurité, une force mobilisatrice ou encore une source de valorisation.
Mais que vient occulter toute cette connaissance?
Bien souvent, ce que nous croyons déjà connaitre nous empêche de nous ouvrir à ce qui est. Il nous est tous déjà arrivé de ne pas avoir conscience de la route que l’on vient de parcourir, des gestes que l’on vient de poser, des mots que l’autre vient de nous dire. Nous avons alors le sentiment d’être sur le pilote automatique. Notre vie se déroule sans que nous y soyons attentifs. Cette route, nous la connaissons trop bien. Ces gestes nous les faisons mécaniquement chaque jour. Et cette personne, nous savons déjà ce qu’elle va nous dire. À trop croire que l’on sait, on arrête d’être présent à ce qui est. Un savoir arrêté rend sourd, rend aveugle à ce qui est mouvement. Et tout autour de nous est mouvement. Tout est en perpétuel changement.
Celui qui part pèleriner avec l’assurance du professionnel avisé se prive d’une part d’apprentissages que cette expérience procure. Cette part qui se développe et s’enrichit avec les imprévus, les défis, les découvertes et les surprises du voyage n’est pas un savoir informationnel. Au-delà des connaissances accumulées en chemin, c’est un savoir-être que le pèlerin intègre dans toute sa personne. C’est un savoir qui lui est propre et qui contribue à accroitre sa richesse intérieure.
Quel impact ce savoir a-t-il sur ma manière d’être en relation?
Dans son quotidien comme sur le chemin, celui qui avance en croyant posséder un savoir devient indisponible à entendre et à considérer ce qu’il y a de nouveau ou simplement ce qu’il y a d’actuel. Pire encore, il saura trouver dans la multitude d’informations qui gravite autour de lui, celles qui viendront le confirmer dans ses certitudes. Inconsciemment, ce savoir l’enferme.
« Je sais ce que tu vas dire; Je l’ai vécu; Je connais ça; J’y suis déjà allé; Mon frère travaille dans ce domaine; J’ai lu un article qui en parle; On l’a déjà essayé ça et ça n’a rien donné; Il est toujours comme ça lui; … »
Son savoir lui impose une façon de voir ou de faire qui se veut la bonne. Il repousse toute remise en question, l’empêchant de vivre pleinement consciemment ce qui s’offre à lui ici et maintenant.
Un savoir n’est vrai qu’un instant, dans le contexte où il se présente. Comme le pas japonais, il offre une solide assise le temps d’y mettre le pied pour continuer d’avancer, et déjà il est dépassé. Il demande à être renouvelé, rafraichi, actualisé. Pour qu’un savoir soit en mouvement, il importe de demeurer à l’écoute de ce qui nous entoure, sensibles à la diversité des points de vue, conscients de l’existence d’une infinité de réalités. En s’ouvrant à un univers de possibles, le pèlerin fait place à un autrement. Il reconnait sa part d’ignorance, cette part qui lui permet d’accueillir et de grandir. Car parfois, ne pas savoir est bien mieux que trop savoir. Le saviez-vous?
Brigitte Harouni
Toujours aussi enrichissante votre réflexion qui laisse de l’espace au lecteur à repenser son attitude, à accueillir ce qui est, à accepter la part d’inconnu qui rend l’aventure inoubliable et gratifiante.