L’automne de la vie
La fenêtre de mon bureau a pris des couleurs ces derniers temps. Installé à l’étage, derrière la rangée de livres qui jouxte le bas de ma fenêtre, la cime des arbres est lentement passée de ces délicates déclinaisons de verts à ces teintes de jaune, de rouge et d’orangé. Une autre saison de terminée! Sans se rendre compte le temps est passé. Il a filé entre nos doigts. La pandémie en a grugé les minutes, absorbant dans son désordre, l’été qui est passé en un éclair. Nous voici à l’automne, avec le sentiment que le temps nous a échappé. Tout est allé trop vite!
Confinés, les heures se sont écoulées à vive allure. Rien de bien précis cependant, juste le temps qui fuit, comme une vie qui s’écoule en vain, qu’on exécute de manière routinière. Pourtant, pendant tout ce temps, nous avons maintenu un rythme, développé une manière de vivre qui s’adaptait au contexte et qui a pu être satisfaisante jusqu’à un certain point. Mais, vient un temps où cela ne suffit plus. L’heure est aux remises en question : « Où vais-je à vivre ainsi? À quoi tout cela a-t-il servi? ». Quand surviennent ces questions, quelque chose est mûr et n’attend plus qu’à être cueilli. C’est l’automne de la vie. Un temps que nous expérimentons tous, à plusieurs reprises, et qui appelle un changement.
L’automne est une saison particulière. Même s’il annonce la fin d’un cycle, il est aussi le temps des récoltes, celui qui révèle le parcours d’un fruit devenu mûr, d’une feuille devenue mature. Dans le cas de la feuille, le processus est d’autant plus parlant qu’il donne à entendre bien plus qu’un simple phénomène de photosynthèse.
Année après année, le même processus se manifeste. Avec l’automne, la chlorophylle cesse de surinvestir les nervures de la feuille qui lui donne sa teinte verte. Ce qui était latent peut alors prendre le dessus et les « vraies couleurs » de la feuille apparaissent. Aussi n’est-ce pas sans raison si l’on dit d’un petit nouveau qu’il est un « vert », la couleur révèle l’état de maturité! Le vert est la couleur de l’apprentissage, de la maturation et de la répétition. Et, même si des couleurs particulières habitent la feuille dès sa naissance, il lui faut traverser les multiples saisons de sa vie pour parvenir à la pleine affirmation de sa pigmentation.
Avec le soleil déclinant de l’automne, alors que la lumière change, les vraies couleurs peuvent paraitre. Certaines s’affirment de manière timide. Demeurant dans des teintes de lime et citron, elles se révèlent dans la discrétion. D’autres, plus fougueuses, s’emportent, flamboyantes comme des robes gitanes. Elles mélangent les safrans à des pourpres endiablés. L’automne de la vie libère ce qui est mûr. Il offre la possibilité de naître, un chemin qui n’est pas sans rappeler celui de notre humanité…
« Chaque chose vient en son temps » : disait le vieux Qohèleth. Processus de maturation oblige, chaque pas compte. Le chemin est toujours à refaire pour parvenir à sa pleine maturité. Et, même si les offres de la « chlorophylle globale » sont nombreuses à teinter nos personnalités, ce n’est qu’en faisant le chemin que notre vraie nature tend à se révéler.
Il convient donc de retenir que chaque événement (pandémie ou autre) me provoque dans ce que je suis. Qu’il colore ma vie, pendant un certain temps, du vert de l’apprentissage. Qu’il m’oblige à quitter mes routines pour en inventer de nouvelles. À travers ce mouvement, un éclairage nouveau est jeté sur ma vie. Il me conduit à préciser mes couleurs en me rapprochant, chaque fois, un peu plus de cette vérité qui m’habite.
Éric Laliberté
Merci Éric d’illustrer de vos poétiques observations les changements qui s’opèrent dans la nature et dans nos paysages intérieurs au fil des saisons.
Bel automne dans nos vies respectives! 🍃