Passer de l’excès à l’abondance
L’exagéré, l’outré, l’abusif, le démesuré, l’extrême. Quand c’est trop, c’est trop! Et l’après-période des fêtes est souvent là pour nous le rappeler! Horaires surchargés, excès de repas, de boissons, de dépenses. Les excès sont parfois nombreux et se font sentir autant financièrement que physiquement et psychologiquement. Dans ces éclairs de lucidité, notre mécontentement s’exprime souvent par un ras-le-bol radical en provoquant des changements drastiques, qui sont pourtant tout aussi excessifs. En agissant ainsi, loin de nous libérer de nos excès, nous les remplaçons par de nouveaux : diètes sévères, entraînements intensifs, horaires restrictifs; qui laissent croire à une victoire sur les premiers. Pourtant, ceux-ci auront tôt fait de nous « excéder » par leur rigueur. En voulant contrer l’excès, nous demeurons prisonniers de nos comportements excessifs.
Contrairement à l’excès, l’abondance est généralement valorisée. Elle semble même répondre à nos désirs avec une certaine volupté. L’abondance est perçue comme un cadeau dans nos vies. Pourtant, celle-ci renvoie aussi à l’idée de trop, de surplus. En quoi serait-elle mieux que l’excès? Qu’est-ce qui les distingue l’une de l’autre?
L’excès est ce qui dépasse la mesure, la limite. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Étymologiquement, excéder renvoie au préfixe latin « ex » (sortir de, quitter, renoncer) et à « cedere » (faire place, abandonner la place). Excéder signifie donc « renoncer » à « abandonner la place ». Ce faisant, l’excédé occupe ainsi « tout » l’espace et se pose comme mesure du plein. Il en fixe les frontières, l’équilibre, en refusant ce qui l’excède. D’ailleurs, ce qui « excède », « dépasse » et met « hors de soi ». Il y a dans ces moments débordement inacceptable : excessif au volant, excessif en carrière, excessif en sport, excessif en propreté, excessif dans l’application des lois, excessif sur le plan relationnel… Tout ramène l’excès à l’idée de frontière et de limite à ne pas dépasser, pour maintenir un équilibre.
L’abondance, pour sa part, vient du latin « abundare », qui signifie « affluer ». L’abondance, c’est l’eau qui inonde les terres et se fait généreuse. Elle n’a ni règle, ni limite, ni frontière. L’eau qui abonde se répand selon la topographie des lieux, elle coule avec eux. Abonder signifie d’ailleurs « couler dans le même sens » et renvoie au mouvement, à la libre circulation. L’abondance viendrait donc de ce qui est donné librement et qui n’est pas retenu. Contrairement à l’excès, l’abondance ne cherche pas à contenir, elle passe.
Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de l’excès sous le couvert de l’abondance, mais bien de mettre en évidence combien les frontières sont enjeux de nos excès et que l’abondance ne répond pas aux mêmes critères. Car l’abondance est souvent confondue avec l’excès.
L’excès, en posant des frontières, s’approprie l’espace et pose les conditions de son occupation : il le possède. L’abondance est ailleurs. Loin de l’appropriation, elle traverse l’espace. L’abondance est de l’ordre du don. Elle se donne et nous ne pouvons que la recevoir. Vouloir la retenir serait déjà sombrer dans l’excès. Car, si l’eau abonde dans le fleuve, c’est bien parce qu’elle y circule. Dès que nous tentons de la retenir, de la contrôler, elle l’excède. C’est parce qu’il y a rétention, qu’il y a excès et, par conséquent, un trop-plein.
L’appropriation par crainte de perte, crée l’excès. Ainsi, la peur de perdre sa réputation, crée le perfectionnisme. La peur de perdre le respect, crée l’autoritarisme. La peur de perdre son argent, crée l’avarice. La peur de perdre son temps, de s’ennuyer, crée l’hyperactivisme. L’excès vient de la peur du manque et indique, entre autres, un manque de confiance.
Sur les chemins de pèlerinage, la dynamique pèlerine correspond davantage aux conditions propres à l’abondance et relève de la fluidité. Ainsi, dans un tel contexte, le pèlerin excessif souffrira rapidement des exigences qu’il s’est fixées en croyant posséder l’expérience du chemin. En revanche, celui qui entre dans cette expérience sans attente fixe, sans désir d’appropriation, coulant avec la topographie des lieux, ajustant sa marche au gré des rencontres; celui-là éprouvera la satisfaction de l’abondance.
Bon chemin en 2020!
Éric Laliberté