Art de vivre, philosophie et exercice spirituel
Confronté à une multitude de propositions, faire un choix, « le bon choix », est devenu source d’angoisse pour plusieurs. Qu’est-ce que le « bon choix »? Qu’est-ce qui me dira que j’ai choisi la bonne manière de m’alimenter? de prendre soin de moi? d’éduquer mes enfants? de me déplacer? de vivre en société? de préparer ma retraite? Nos besoins sont multiples et circonstanciels. Pas un seul d’entre eux ne peut être comblé de manière permanente et ceux-ci changent constamment tout au long de notre vie. Ainsi, leur récurrence pose l’enjeu d’un bien-vivre et développer un mode de vie attentif à ces mouvements devient nécessité. C’est ce qu’avançait déjà les philosophes de la Grèce antique : « L’important n’est pas de vivre, mais de vivre bien » (Socrate).
La philosophie est d’abord un art de vivre et vivre en philosophe, écrit Pierre Hadot, permet de développer « une attitude concrète, dans un style de vie déterminé, qui engage toute l’existence. L’acte philosophique ne se situe pas seulement dans l’ordre de la connaissance, mais dans l’ordre du « soi » et de l’être : c’est un progrès qui nous fait plus être, qui nous rend meilleurs. C’est une conversion qui bouleverse toute la vie, qui change l’être qui l’accomplit ». Il en émerge un art de vivre qui correspond aux exigences d’une vie saine et épanouissante, faisant « passer d’un état de vie inauthentique, obscurci par l’inconscience, rongé par le souci, à un état de vie authentique dans lequel l’[humain] atteint une conscience de soi, la vision exacte du monde, la paix et la liberté intérieure »[1]. Ainsi, peu importe l’école de pensée, cette quête se situe toujours du côté de l’être, de la vérité et de la vie, orientée par l’objectif d’un plus grand bien.
Pour parvenir à cet état, les philosophes disent qu’il est nécessaire de s’exercer; des exercices qu’ils désignent comme spirituels car ils engagent non seulement le corps, mais tout l’esprit. Ils engagent à penser et agir d’une manière cohérente avec ce qui est observé et goûté de la vie, attentif à tous ses mouvements. Les exercices spirituels plongent ceux et celles qui les pratiquent dans le concret de la vie. Ils les ramènent à ces vérités inscrites dans le flot du quotidien. Des vérités qui échappent si nous ne prenons pas le temps de les observer en vivant par automatisme; c’est-à-dire en vivant de telle manière que nous ne faisons qu’enchaîner les tâches, sans amener à la conscience l’enjeu d’un tel faire – pourquoi?
Actuellement, les pèlerinages qui émergent du modèle Compostelle s’imposent comme art de vivre et exercice spirituel de ce siècle. À travers eux, pèlerins et pèlerines s’exercent à vivre d’une certaine manière, observant et ajustant leur pratique au gré de leurs pas. Affranchi du religieux normatif, recadré dans une perspective philosophique globale, le spirituel de cet exercice n’exclut cependant rien – même pas le religieux : il cherche, tout simplement. Que dit cet exercice de notre époque? De quelle manière l’éclaire-t-il?
L’exercice spirituel a pour objectif de développer un art de vivre. Or, si cet art de vivre est à développer, c’est qu’il n’est pas présent dans ma vie actuellement. Par conséquent, les pratiques pèlerines, en tant qu’exercice spirituel, entendent s’exercer à un mode de vie qui n’entre pas dans l’ordre de nos pratiques sociales actuelles. Plus précisément, elles cherchent une réponse là où nos modes de vie ont échoué.
La présence d’autant de gens sur les chemins du monde, pèlerins, backpackers ou autres, cherchant en quelque sorte à quitter le navire de la société moderne, est parlante sinon criante. Nos modèles de vie conviennent de moins en moins. Le métro-boulot-dodo-école-vacances-RÉER est à repenser complètement et selon un ordre tout autre.
En ce moment, les pratiques pèlerines, découlant du modèle Compostelle, se font reflet qui taraude. Par effet miroir, elles perforent les tendances radicalisantes de notre monde. En tant qu’exercice spirituel favorisant un art de vivre, elles affichent les prémisses qui permettent de se repenser en vue d’un meilleur. Depuis ce lieu, il est alors possible d’entrevoir que : frugalité, humanité, lenteur, liberté, flexibilité, fluidité, partage, entraide, accueil, seront parmi les saveurs de ce nouvel art de vivre.
Éric
Laliberté
[1] Pierre Hadot. 2002 [1993]. Exercices spirituels et philosophie antique. Paris, Albin Michel. p.23.
Excellent papier qui fait réfléchir sur le mode de vie appris et à repenser,!