Les vacances du temps
Souvenez-vous de la longévité de la tortue…
L’été se pointe et le temps des vacances devient soudainement pressant. Même si nous jouissons de plusieurs temps libres tout au long de l’année, ce temps particulier a quelque chose qui fait toujours rêver. On anticipe avec délice le long voyage à vélo, la lecture ininterrompue de ce roman, le doux farniente sur la plage, les soirées entre amis qui s’étirent, les escapades imprévues… Tous ces moments manquent à nos agendas! Dans les rares cases vides de ce grand livre, nous pouvons sentir l’urgence de vivre. Comme le poisson quittant son bocal, plonger dans l’océan du temps peut sembler enivrant!
L’expression dit bien : « C’est le temps des vacances! ». Ce temps de vacances, on l’entend, il est pluriel. Il souligne qu’il y a beaucoup de temps qui soit vacant, beaucoup de temps « inoccupé ». C’est la quantité de temps inoccupé qui rend la chose intéressante, car le temps libre nous manque. Nous en voulons toujours plus! Comme si le temps occupé nous pesait. Pourtant, le temps n’est jamais occupé. Ce n’est pas lui qui est occupé, mais bien nous qui l’occupons. Le temps nous est toujours donné vacant. Le temps est toujours fait de « vacances ». C’est nous qui l’investissons et comblons chacun de ces espaces.
Le temps s’occupe, se remplit, se comble. Les heures, les jours, les mois sont comme une série de contenants à farcir. Le temps est un volume qui se calcule par la vitesse à laquelle je peux remplir le plus grand nombre de cases vides de mon agenda. Le danger dans cette manœuvre, c’est que le temps est un puits sans fond. Il serait fou de prétendre pouvoir le combler en entier. Le temps est intarissable, il ne peut manquer! Qu’une heure vienne à passer, voilà déjà qu’une autre est commencée! Aussi, n’est-ce pas le manque de temps qui soit un problème; mais bien moi qui me suis donné pour mission de « bien » remplir mon temps.
Temps et espace sont intimement liés. L’un n’existe pas sans l’autre. Rien de nouveau à ce sujet. Aussi, éprouver un besoin de vacances, équivaut à éprouver un besoin d’espace : soit faire un trou dans son horaire. Nous passons nos journées à filer à toute vitesse dans l’espoir de gagner quelques minutes de liberté. Or, l’espace est produit par le temps que je mets pour effectuer une activité – même quand je ne fais rien j’occupe mon temps d’une certaine façon. Aussi, dans ce calcul, le facteur vitesse joue-t-il un rôle déterminant : plus je fais vite, plus l’espace est court et plus le temps passe vite. Sous cet angle, il devient impossible d’espérer gagner quelques minutes de liberté en allant plus vite. Au contraire, récupérer du temps consisterait davantage à l’occuper autrement qu’à toute vitesse.
Et s’il suffisait de ralentir pour gagner du temps? Pour durer plus longtemps? Dans la durée du temps qui s’étire, la vie se manifeste autrement. On peut y voir l’herbe pousser, le vent souffler et les gouttes de rosée.
La durée engage dans un processus qui change nos rapports de proximité et laisse loin derrière l’instantanéité dans laquelle nous sommes plongés. La lenteur de la durée tend à nous harmoniser avec l’éternité du temps qui n’en finit plus de passer. Pèlerins et backpackers semblent y avoir compris quelque chose : soit ils voyagent plus lentement, soit ils voyagent plus longtemps. Mais, peu importe, dans les deux cas, la lenteur de l’exercice dégage l’espace nécessaire pour goûter les vacances du temps ainsi retrouvées.
Éric Laliberté
*Ce texte est le dernier de la saison 2018-2019. Nous vous reviendrons le 13 septembre. Entre temps, suivez-nous sur Facebook. Cet été nous vous ferons parcourir : Compostelle, les Iles-de-la-Madeleine et la Haute-Gaspésie.
Très beau texte à méditer avant de se précipiter en vacances du temps.