Lire son chemin
Lire haut, c’est s’affirmer à soi-même sa lecture.
Victor Hugo
Les pas du pèlerin sont comme le doigt du lecteur : ils suivent un parcours qui relie des éléments pour en tirer un chemin qui fasse du sens. Face à un texte, le lecteur n’a d’autres choix que de chercher sa route en reliant des lettres, des syllabes, des mots, des phrases, selon certaines règles. Ces règles lui permettent de circuler dans le texte de manière compréhensible. De la même manière, l’humain ordonne le monde pour le comprendre. Les pas du pèlerin circulent sur le texte de l’univers, reliant entre eux des lieux qui élaborent une histoire qui, elle, transcende le simple chemin. Tout comme la lecture d’un roman éveille l’esprit et fait réfléchir; la lecture du chemin éveille le pèlerin et le déplace autant physiquement que spirituellement.
Certes, ces règles de lecture sont convenues mais, rien n’empêche de les modifier pour générer un autre type de lecture. Le lecteur peut décider de ne retenir qu’un mot sur trois, un autre peut lire de droite à gauche, de bas en haut, en diagonal, ou encore en ne respectant pas la ponctuation. On peut même donner un autre sens aux lettres. Lire, c’est d’abord appliquer une méthode de lecture et peu importe la méthode retenue, il en résultera quelque chose. Le lecteur sera déplacé, confronté, transformé, par sa lecture. Parcourir un chemin, c’est un peu la même chose.
Le marcheur est le lecteur du chemin qu’il effectue. Sans cesse, il se déplace en lisant et en décodant le langage de l’environnement dans lequel il se trouve. S’il parcourt rues, trottoirs et sentiers, se risque sur des chemins inédits, c’est en suivant certaines règles. Il suit une signalisation, la respecte ou non, passe à travers champs, marche sur la pelouse ou emprunte des chemins tracés. Peu importe sa méthode, il avance dans sa lecture des lieux en construisant du sens. Ses chemins seront ponctués d’arrêts, de détours, de retours en arrière, de silences, de montées et de descentes. Aussi, le marcheur lit-il comme on lit une partition de musique : l’émotion le gagne au fil de ses pas, teinte sa lecture et le transporte dans un tout autre univers. Au contact des mots, comme aux contacts des lieux, aucun lecteur, aucun marcheur, n’éprouve les mêmes sensations. Cette manière de lire, bien personnelle, fait en sorte que des marcheurs qui fréquentent un même chemin et appliquent une même méthode de lecture, n’en tirent pas une lecture similaire. Même si texte et chemin sont toujours les mêmes, l’effet n’est pas le même. Certains sont émus en lisant tel livre, d’autre non. De même, la lecture d’un chemin ne marque pas chaque marcheur de la même façon. Mais pour entendre cette différence, il faut raconter le chemin parcouru. Entendez bien le mot « parcouru ». Ce n’est pas le chemin qui est à raconter, mais le cheminement.
D’où l’importance de faire le récit de son pèleriner et d’entendre ce que ses « pas » ont à raconter. Le pèlerin doit pouvoir comprendre comment cette marche l’a provoqué dans tout ce qu’il est; décoder comment il lit le chemin. Aussi, le récit pèlerin n’est pas seulement le relevé d’éléments factuels ou anecdotiques. S’il s’inscrit dans ce modèle, il s’agit alors d’une chronique de voyage. Il ne fait qu’énumérer des éléments comme ont fait un inventaire. Aussi, si le pèlerin dit avoir vécu « quelque chose » sur son chemin, il doit pouvoir en rendre compte. Il doit pouvoir faire le récit de ce bouleversement, de cette transformation. Comme l’écrit Danièle Hervieu-Léger : « Le pèlerinage naît de son récit ». C’est donc dans l’après-coup de sa lecture, dans sa « relecture » que le pèlerin fera véritablement l’expérience de son pèlerinage. C’est en revenant sur sa première lecture du chemin qu’il pourra entendre ce qui s’est passé et que l’expérience prendra forme.
Voici quelques recommandations pour faire de votre expérience pèlerine, un exercice qui soit mûri. Utilisez ces questions pour enrichir votre relecture. Notez qu’il n’est pas nécessaire de la faire chaque jour, ce n’est pas un journal de bord! Parfois, les expériences du chemin mettent quelques jours à émerger. Donnez-leur du temps. Mais revenez plutôt de temps à autre sonder l’histoire lue sur ce chemin. Aussi, ne cherchez pas « la réalité » du fait, mais la trace qu’il laisse. C’est là qu’est l’histoire, c’est là que vous serez déplacé. Enfin, ne commencez surtout pas votre récit le premier soir. Attendez d’avoir marché quelques jours pour raconter votre lecture du chemin.
Au cours de votre marche, vous serez inévitablement touché, traversé, par l’expérience. Comment vous cela agit-il en vous? Qu’est-ce qui vous interpelle, vous dérange, vous transporte, dans ce que vous vivez en ce moment? Quels souvenirs montent? Comment vous sentez-vous? Qui ont été les acteurs importants de votre pèlerinage? Quel type de relation avez-vous développé? Ces relations vous rappelaient qui? Pourquoi? Quel a été votre rapport aux règles et aux convenances pendant votre marche? Comment les avez-vous appliquées? À la lumière de ces premiers jours de pèlerinage, comment votre vie vous parait-elle? Quels liens faites-vous avec votre vie? Osez un regard franc, un regard de vérité sur vous-même.
Faites ce premier récit, puis mettez-le de côté. Poursuivez votre marche, puis revenez-y après quelques jours. Continuez votre récit sans tenir compte de la partie précédente. Reprenez comme si vous relisiez tout depuis le début en vous laissant porter par les mêmes questions, en vous rendant disponible à ce qui monte. L’expérience fait monter des émotions, des souvenirs, à la surface et ces éléments ne doivent pas être négligés. Il est important de les nommer. Le langage veut mettre de l’ordre dans ce que nous éprouvons pour en tirer une meilleure compréhension. Continuez cet exercice tout au long de votre marche.
À votre retour, faites la même chose. Racontez tout depuis le début, comme si vous n’aviez rien écrit. Puis, laissez votre récit de côté pour plusieurs semaines. Lorsque vous y reviendrez, observez comment vous avez raconté. Comment dites-vous les choses? Quelles figures de styles employez-vous? Y a-t-il des éléments qui sont absents de votre récit? Des non-dits? Qu’est-ce qui vous a marqué? Quels thèmes sont récurrents? Enfin, comment vous sentez-vous en relisant votre récit? Pourquoi? Qu’apprenez-vous sur vous-même? Que met à jour votre récit?
En faisant cet exercice, vous verrez que votre récit aura de plus en plus à vous révéler. Il ne suffit toutefois pas d’en rester là! Ce qui est révélé, mis à jour, par ce récit appelle, pousse, à l’action. Une fois vu, on ne peut plus faire comme si cela n’existait pas! Le récit appelle alors à ordonner sa vie de manière cohérente avec ce qui a été relu. Le refouler pourrait générer différents malaises.
Pour bien faire ce passage et s’assurer de sa relecture, un accompagnement peut s’avérer nécessaire. Notre inconscient nous joue souvent des tours et nous fait voir de manière déformée. L’aide d’un professionnel peut aider à entendre les écueils de notre récit. Aussi, oser mettre sa relecture en paroles devient un enjeu majeur de l’expérience pèlerine. Dire à quelqu’un, échanger avec lui à propos de son récit, implique davantage qu’un récit qui demeure dans le fond d’un tiroir, ou même qu’un livre publié. La richesse de votre récit doit être entendu, pas seulement écouté. Aussi, trouvez un vis-à-vis qui vous entendra dans votre processus de relecture s’avérera très bénéfique. Qu’il s’agisse d’un psychologue ou d’un accompagnateur spirituel, il s’agira de trouver la personne adéquate pour faire ce bout de chemin avec vous.
Si vous désirez participer à un weekend de relecture, Bottes et Vélo offrira une retraite pèlerine du 1er au 3 novembre, intitulée : « Postpartum pèlerin, parce qu’il faut bien se remettre de cet accouchement de soi! ». Nous avons expérimenté cette formule auprès d’étudiants de l’Université Laval l’an dernier et elle s’est avérée très enrichissante. Accrédité selon la méthode ignatienne, l’accompagnement spirituel offert par Bottes et Vélo, dans une approche laïque, permet d’entrer plus en profondeur dans le processus de relecture. Des rencontres de groupe et individuelles feront partie des exercices proposés. Ce weekend est offert à tous, que vous ayez ou non marché avec Bottes et Vélo. N’hésitez pas à nous contacter pour avoir plus d’informations. Cette retraite aura lieu à l’Auberge Chaumonôt de l’Ile d’Orléans.
Bon chemin!
Éric Laliberté,
M.A. en accompagnement spirituel;
accrédité selon la méthode ignatienne.