Une école en mouvement
Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens.
Tu m’impliques, j’apprends.
Benjamin Franklin
Nous venons de terminer un premier weekend pèlerin avec un groupe de jeunes. Trente jeunes de 12 ans. Qui ont marché près de 30 km en un jour et demi. Qui ont vécu, malgré la courte durée du séjour, les bienfaits et les inconforts du pèlerinage. Les hauts et les bas du pèlerin. Un dérangement qui oblige à un re-rangement. Habituée de pèleriner avec des adultes, cette rencontre a suscité en moi bien des réflexions.
Contrairement aux adultes aguerris que nous côtoyons dans nos séjours, ces jeunes, qui terminent tout juste leur école primaire, ne se sont pas préparés à ce qu’ils vont vivre. Ne savent pas ce qu’est une journée de marche pour un pèlerin. N’ont pas toujours le type d’équipement optimum. Nos adultes arrivent avec les chaussures recommandées, les bâtons de marche, les bas en laine de mérino, le sac à dos ajustable… et ils ont souvent pris le temps de marcher pour s’entrainer. Pour les adultes, le défi premier est clairement physique. Ce qui n’est pas le cas pour nos jeunes. Alors quel est-il pour eux?
Le défi n’est pas physique. Pour nos pré-adolescents, après plusieurs kilomètres, c’est une simple question de persévérance. Dépasser la réponse immédiate, la réponse rapide et facile. Découvrir l’importance de profiter de sa route. Apprendre à se rendre la route agréable. Et je fus étonnée de voir que rapidement, pour eux, sachant que la route s’annonçait longue, ils ne se sont pas pressés. Au contraire, ils ont chanté. Ils ont pris le temps de jouer avec énergie dans chaque parc que nous avons croisé. Ils ont bavardé, ont pris des photos, se sont chamaillés en marchant. L’adulte, conscient de la route à faire, planifiant ses pauses, réfléchissant son parcours, met, de ce fait, l’accent sur l’arrivée. Il calcule sa vitesse de marche, évalue l’énergie qui lui reste, anticipe les imprévus. L’insouciance de la jeunesse, la confiance qu’ils donnent aux adultes qui les guident, les rend pleinement disponibles à vivre le chemin.
Les ateliers introspectifs qu’ils vivent avec nous viennent compléter leur démarche. Ce voyage pèlerin est un temps de passage. Leur réel défi est de constater que depuis leur arrivée sur terre, ils ont fait du chemin. Ils ont été transformés et que cette transformation continuera tout au long de leur vie. Le défi pèlerin de chacun est de découvrir qui il est, pour mieux définir vers où il tend. Dépasser qui il croit être en fonction de ce que son entourage lui reflète. À travers l’effort de la marche saisir son potentiel de réalisation, l’univers de ses possibles. Aller au-delà des limites qu’il s’est un jour définies, et qu’il s’impose encore aujourd’hui sans les remettre en question, sans chercher à les actualiser.
La marche, en plus d’être physique, oblige le pèlerin à entrer en relation. Le déplacement continu fait défiler tout un monde d’inconnus et d’imprévus autour du pèlerin qui apprend dans cette rencontre à se définir, à préciser qui il est aujourd’hui. Et c’est souvent cette rencontre qui laisse une trace au cœur du pèlerin. Quelle que soit la route empruntée, le mouvement met en relation avec cet extérieur. Une communication s’établit avec cet extérieur à travers les cinq sens et par le biais du bagage émotionnel et rationnel propre à chacun. Les jeunes ont croisé des chiens. Certains ont eu peur, d’autres les ont caressés. Des discussions personnelles en ont découlé, des souvenirs ont émergé. En matinée, il faisait froid. Certains étaient peu habillés, d’autres avaient trop de vêtements. Des partages et des échanges se sont faits. Des liens se sont tissés. À plusieurs reprises, des inconnus ont interpelé des jeunes pour savoir pourquoi ils marchaient. Un brin de fierté se lisait dans leurs yeux lorsqu’ils reprenaient la route. Nous avons croisé une femme aveugle qui joggait avec quelqu’un qui la guidait. Des discussions profondes sont nées. Des inquiétudes, des interrogations, de l’émerveillement, chacun a fait part de l’émotion qui l’a traversé. Le quotidien du chemin laisse des ornières personnalisées en chaque pèlerin.
On dit que les voyages forment la jeunesse. Je crois que c’est le déplacement, le mouvement et la relation que l’on entretient avec ce qui nous est extérieur qui marque le voyageur. Puis il y a le retour. Ce temps d’arrêt que l’on prend pour se retourner et poser un regard sensible sur le chemin parcouru, pour en saisir les apprentissages réalisés. Lorsque nous demandons à ces jeunes: “Que reste-t-il de ta route maintenant que nous sommes revenus? Quelle trace ta rencontre avec ton chemin a-t-elle laissée que tu continueras de porter avec toi? Qu’as-tu appris?” Les réponses sont multiples: être fier d’avoir su dormir loin de sa famille, être capable de se faire de nouveaux amis, avoir pu marcher aussi longtemps, être capable d’être seul et se sentir bien, être capable de ne pas être connecté à un écran, découvrir que relever des défis est stimulant, réussir à traverser un pont à pied.
Tout pèlerinage, tout déplacement demandant un effort physique, met le pèlerin en relation avec ce qui l’entoure, contribue à enrichir et à préciser son identité personnelle. Un apprentissage qui se vit dans un dialogue intangible, que le pèlerin assimile avec tout son corps. C’est avec toute la candeur de la jeunesse que, sans en être conscients, ces jeunes ont passé une fin de semaine dans cette école en mouvement.
Brigitte Harouni
Quel beau témoignage ! L’avenir est au jeunes et aux pèlerins !
J’ai été directeur du camp de vacances Kéno dans le comté de Portneuf et je trouve que ce que vous écrivez sur la marche avec des jeunes ressemble énormément aux jeunes qui vivaient des expéditions de canot-camping sur les lacs et les rivières.
J’ai revu les jeunes de Kéno
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