Pèleriner entre solitude et rencontre

2019-03-08 2 Par Brigitte Harouni

C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière.

Edmond Rostand

La richesse d’un pèlerinage nait des rencontres qui s’y vivent. Éphémères, spontanées, profondes, sincères, ces relations durent le temps qu’elles passent. Certaines seront courtes, et d’autres s’étireront dans le temps, allant au-delà du chemin. Mais qu’est-ce qui rend ces rencontres mémorables? Pourquoi sont-elles si marquantes?

Sur le chemin, tout est mouvement. Certaines personnes rencontrées en début de parcours ne recroiseront plus notre route, tandis que d’autres réapparaitront au détour d’un village. Parfois un simple « bonjour! » sera échangé. Alors qu’avec d’autres, on choisira de partager quelques kilomètres, quelques minutes ou quelques heures. Le temps d’un café ou le reste du voyage. Plus la relation est longue et plus nos paroles nous révèlent. On se dénude. On s’expose. Vulnérable devant cette personne qui nous est pourtant étrangère.

Les journées oscillent entre les temps de marche solitaire et les temps de contact humain. C’est de ces temps de solitude que germe le désir de rencontrer. Rassasié de silence et de paix intérieure durant sa marche, le pèlerin accueille l’arrivée dans le village comme un plaisir de retrouver l’autre. Sans attaches, sans obligations, il a le pouvoir de choisir ce qu’il veut vivre comme rapport à l’autre. Chaque rencontre a un début, une fin et donc une durée. Voyageant seul et étant constamment en déplacement, le pèlerin arrive et quitte à sa guise. Son rythme de marche donne la cadence aux rencontres. Repu de certains échanges, il quitte l’autre pour continuer sa route seul. Avide de vivre davantage de temps avec cette autre personne, il se permettra d’étirer ce temps en sa compagnie.  

Dans notre quotidien, nous sommes saturés de rapports humains. Ces relations sont classées, étiquetées même parfois hiérarchisées. Celui-ci est une connaissance, un collègue de travail, une fréquentation. Cet autre est un ami. Lui, mon « meilleur » ami. La relation vient avec des obligations, voire même des incontournables. « On se connait depuis la maternelle ». « Elle a toujours été là pour moi ». « J’étais à son mariage ». Plusieurs relations ne sont pas reconsidérées, s’étirent au-delà de leur date de péremption. Les rencontres ne sont plus forcément faites par plaisir. Plusieurs surviennent par obligations, par devoir. On se sent redevable à l’autre. Les temps de réelle solitude sont rares. Entre le travail, les enfants, le couple, les amis et les activités sociales, il reste peu de temps pour être seul avec soi.

Et pour certaines personnes, il en va tout autrement. Leur quotidien est tout à fait le contraire. Les temps de solitude sont tellement nombreux. Sans travail, sans conjoint, seul à la maison, le temps parait interminable. La vie manque un peu de vie. Alors on fait du bénévolat, on s’inscrit à des cours de yoga, de peinture, de natation. On lance des invitations pour se retrouver entre amis ou en famille. On crée des occasions pour se nourrir et savourer le plaisir d’être avec l’autre.

La richesse des rencontres réside dans cet équilibre entre temps de solitude et temps avec l’autre. Lorsque la rencontre répond à mon désir d’être avec l’autre, elle prend tout son sens. On est alors ouvert, disponible, disposé, réceptif, à accueillir ce qu’elle nous réserve de bon. La force du pèlerin est d’avoir le privilège de pouvoir déterminer son « juste assez » pour ne pas tomber dans le manque ou dans l’excès. Ce « juste assez » entre solitude et compagnie qui lui est propre et qui nourrit sainement son âme.

Brigitte Harouni