Le pèlerinage, une métaphore de la vie?
Vous avez peur de vivre parce que vivre, c’est prendre le risque de souffrir.
Arnaud Desjardins
Marcher en toute liberté, sans horaire et sans contrainte. Réduire son mode de vie à sa plus simple expression. Vivre simplement. Le pèlerinage nous fait rêver. Il suscite attentes et espérances. Certains diront qu’il est une merveilleuse métaphore de la vie. Qu’il exprime de manière poétique le parcours d’une vie dans tout ce qu’il suscite et laisse à réfléchir. Pour ceux et celles qui l’ont fréquenté, les scènes bucoliques nous reviennent aisément en mémoire et le vent de liberté qui flotte sur ces routes, nous berce encore de sa douce brise. La joie de vivre et la vie fraternelle qui portent les pas des pèlerins résonnent encore au fond de nous. Toutes ces images sont bien fortes en moi et me parlent. Cependant, aujourd’hui, je me questionne : le pèlerinage est-il réellement une métaphore de la vie?
La métaphore est une image détournée pour expliquer une réalité. En quoi ma vie de tous les jours, coincée entre métro-boulot-dodo, ressemble-t-elle à un pèlerinage? Le pèlerinage ne reflète la réalité d’aucun pèlerin. Au contraire! Il met en évidence l’incohérence, voire l’absence, de notre adhésion à la vie. Si le pèlerinage nous parle, nous interpelle dans notre mode de vie, c’est qu’il est très différent de nos vies. Bien sûr, nous pouvons dire qu’il est un reflet des hauts et des bas de notre quotidien. Qu’il porte en lui l’expression du fardeau et des souffrances de nos jours. Mais soyons réaliste, chanceux celui ou celle dont le quotidien ressemble à un pèlerinage! Le pèlerinage devient métaphore de notre mode de vie – seulement et seulement si – nous y reproduisons les travers de celui-ci. Loin de cette métaphore, l’expérience pèlerine nous propulse dans un autrement que nous n’avons pas le courage d’assumer au quotidien.
Ce ne sont pas les embouteillages, ni la course contre la montre qui nous attire sur les chemins de pèlerinage. Pas plus que la souffrance ou les inégalités, ni les images de marques ou les grands magasins. Si le pèlerinage était une métaphore de la vie, personne n’irait faire un pèlerinage! Ma vie n’a rien à voir avec le pèlerinage. Ce que j’ai vécu sur le chemin ne s’apparente en rien à ma vie de tous les jours. Car c’est bien d’une manière de vivre dont nous parlons, lorsque nous rêvons de pèlerinage. C’est la vie sur le chemin qui fait rêver le pèlerin!
Et si le pèlerinage n’était pas une métaphore?
Et s’il ouvrait une fenêtre sur une réalité bien concrète?
Et s’il était l’expression même de ce qu’est vivre?
Plus qu’une métaphore de la vie, c’est la vie elle-même qui jaillit du pèlerinage. Le pèlerinage c’est revenir à la vie. Il est « la vie ». Se donner le temps de vivre l’expérience pèlerine, permet de mettre l’agitation sociale sur pause pour vivre pleinement. Si le pèlerinage est une métaphore de la vie, c’est d’une autre vie dont il nous parle et de son possible. Notre vie quotidienne est faite en grande partie d’illusoire et de futilités. Sur le chemin, c’est d’une autre manière de vivre dont il est question et celle-ci me révèle un autre rapport à l’espace et au temps. Une vie où chacun de mes pas me fait grandir en liberté, me libérant de mes oppressions.
Le pèlerinage provoque une expérience vivante qui va bien au-delà de l’intellectualisation. Cette expérience ne se joue pas dans la tête du pèlerin : elle entre dans son corps, et elle y entre par les pieds! Elle va à l’encontre de la culture du rationnelle qui compartimente tout. Le pèlerinage m’interpelle dans mon corps, dans ma manière d’être à la vie, à l’instant même où chacun de mes pieds frappe le sol. Il me défait de mes rigidités temporelles, du grief de l’agenda. L’oisiveté y devient règle de vie, et non un péché social de contre-performance. Ceux qui ne respectent pas les règles vivantes du pèlerinage se blessent ou font du pèlerinage une métaphore de la société : ils courent, performent, se sentent utiles, comme s’il y avait lieu de prouver quelque chose dans l’exécution de ce pèlerinage devenu tâche à accomplir. Dans ces conditions, je suis alors d’accord, nous faisons de ce temps d’arrêt une métaphore de notre régime de vie. Il devient espace où nous reproduisons, malgré nous, et de manière compulsive, le rythme de vie que nous avions voulu quitter.
Toutefois, la puissance de l’expérience pèlerine s’exerce à l’opposé de ce que nous vivons quotidiennement. Elle nous défait de nos habitudes de vie, de nos croyances, faisant de nous de véritables vivants. Elle nous rappelle de vivre, car c’est la seule exigence que porte la vie. Vivre, protéger la vie, l’aimer, la goûter, la laisser grandir librement. Tout le reste nous l’avons inventé. Alors, ne nous prenons pas trop au sérieux dans notre cirque social!
Éric Laliberté
Très beau texte … Merci Éric Laliberté
C’est bon de s’interroger ainsi. Le pèlerinage ne représente pas la même chose pour tous . Parfois les gens ne savent pas trop pourquoi ils veulent en faire l’expérience mais je crois que la majorité (comme moi) reviennent au bercail un peu changé puis ils ont envie de changer quelque chose dans leur quotidien. Je regarde la photo où il y a une table et une fontaine ( il me semble que c’est ca) et je suis presque certaine que je me suis assise ici pour prendre mon lunch un jour alors que j’étais sur le Chemin ( GR65). C’est possible si cette photo est prise en France , près de l’abbaye de Larreule.