L’horizon du pèlerin
« Regarder “loin”, c’est regarder “tôt”. »
Hubert Reeves
Lorsque je me sens envahie par des pensées qui tourbillonnent dans ma tête, que je me perds dans le labyrinthe de mes réflexions, ou simplement lorsque je veux être bien, j’aime me retrouver dans un endroit qui offre un horizon à mon regard. Quoi de plus ressourçant et de plus reposant que de laisser son regard planer sur des kilomètres de paysage! Que ce soit sur un banc au bord du fleuve, sur un rocher au sommet d’une montagne, sur le balcon d’un immeuble qui surplombe la ville, la sensation de voir loin nous permet de voyager intérieurement. Qu’est-ce que cette expérience vient toucher en moi? Qu’est-ce que mon corps tente de me dire?
Étymologiquement, le mot horizon symbolise la ligne où la terre semble rejoindre le ciel. Mon regard est attiré et apaisé par cet endroit très éloigné où les rêves semblent devenir réalité, ou du moins réalisables. À travers cet espace et cette distance, j’ai l’impression de me projeter dans le futur. Un monde sans limite. Une ouverture sur un monde de possibilités. Le pèlerin qui regarde devant lui, aperçoit la route qu’il suit pas à pas. Du sommet de la montagne, il devine celle qui l’attend dans les jours à venir. L’espace rejoint le temps. Voir loin, c’est savoir se projeter dans l’avenir. De ma position qui domine le paysage, j’ai une vue d’ensemble de ce qui m’entoure et de ce qui me devance. Je peux donc plus aisément décider de ma route. L’horizon de la route, le sanctuaire que le pèlerin espère voir poindre à chaque sommet qu’il traverse, n’est pas uniquement un lieu extérieur, il est aussi un état intérieur. À la question : « où vas-tu? » si souvent posée aux pèlerins, on traduit : « à quoi te sens-tu appelé à devenir? ». Ce lieu d’horizon est un futur de la vie.
En physique, l’horizon représente la limite de la région de l’espace-temps pouvant influencer ou être influencée par un point donné. Le pèlerin est cette personne qui a ressenti le besoin de changer d’horizon, de partir à la découverte de nouveaux horizons. Le pèlerin sort de sa zone d’influence, celle dans laquelle il vit ou subit des interactions avec ce qui l’entoure, pour aller vers une autre zone d’influence. Dès notre jeune âge, nous grandissons entourés de personnes et d’éléments qui viennent influencer notre chemin de vie. Parents et amis façonnent notre personnalité, nos rêves, notre façon d’agir. La société grâce à ses tentacules médiatiques nous manipule sournoisement et nous transforme au gré des valeurs qu’elle prône, des modes qu’elle véhicule et des courants de pensée qu’elle encourage. Vient un moment où toutes ces attaques identitaires étouffent et emprisonne notre être qui cherche à s’affirmer et à se dire. Vient un moment où un temps d’arrêt s’impose pour faire un tour d’horizon de sa vie. En quête de nouveaux horizons.
Quand je regarde à l’horizon, cette ouverture sur le monde résonne en moi comme un élan de liberté. Liberté car rien ne vient faire obstacle à mon champ de vision. Liberté car rien ne vient limiter l’étendue du panorama. C’est par cette liberté de vision et de mouvement que le pèlerin se réalise sur le chemin. Dépouillé des entraves de sa zone d’influence, et des barrières qu’il s’imposait pour convenir à son monde, il profite de sa nouvelle situation pour avancer sur une route qu’il choisit et qui l’appelle. Sa route!
Brigitte Harouni