Nos blessures vont si bien ensemble!
La clarté ne nait pas de ce qu’on imagine le clair,
mais de ce qu’on prend conscience de l’obscur.
Carl Gustav Jung
Ah, les blessures du pèlerin! Elles sont nombreuses et de toutes sortes! Pas toujours physiques, elles sont parfois morales aussi. Après une longue journée de marche, le soir venu, chacun frotte son petit bobo en riant, en souriant, en grimaçant. Parfois même… en pleurant. Les blessures nous parlent, c’est certain, mais elles communiquent entre elles aussi. Elles nous rassemblent dans la quête d’un meilleur qui parle à travers nos corps.
Quand la journée de pèlerinage prend fin, on voit, un peu partout dans l’auberge, des petits groupes se former. Chacun se regroupe selon sa blessure. Ceux-ci soignent leurs ampoules. Ceux-là s’échangent des crèmes. De ce côté-ci, on s’offre des massages. Dans un autre coin, on se raconte les hauts et les bas de la journée, certaines blessures du passé qui commencent à remonter… Les blessures du pèlerin sont multiples : ampoules, douleurs musculaires, épuisement, coup de soleil, déshydratation, etc. Mais il y a aussi toutes ces blessures par orgueil, par ennui, par déception, par rejet… Les blessures du chemin, même si on n’en garde que très peu de souvenir, font partie du voyage. Elles sont l’enjeu de la résolution du pèlerin. En elles, le pèlerin se découvre et se résout comme une équation. En elles, je découvre mon rapport à la vie, à l’autre.
Le pèlerinage nous plonge profondément en nous. Notre agitation quotidienne ayant disparue, nous voilà face à nous-même, nu devant l’autre. C’est dans ce face à face que nous allons nous éveiller, nous entraider. Et c’est ce qui fait la beauté du chemin ! Sur la route, les pèlerins sont attentifs à ce qui se joue non seulement en eux, mais aussi autour d’eux. Sensibles à cette réalité, de l’être blessé qui s’est mis en marche en quête d’un meilleur, les pèlerins prennent soin les uns des autres.
Étrangement, nos blessures nous rassemblent. À travers elles, nous nous épaulons, nous nous encourageons, nous nous observons. Elles nous obligent à l’introspection : pourquoi ne me suis-je pas arrêté pour faire le plein d’eau? Pourquoi ne me suis-je pas reposé quand c’était le temps? Pourquoi n’ai-je pas mis de crème solaire? Pourquoi ai-je marché si longtemps? Toutes ces questions, que mes blessures allument, en disent long sur mon rapport à la vie, mais aussi, sur mon rapport aux autres. Si je me blesse de cette manière, c’est que je suis le résultat d’un milieu et d’un parcours de vie qui m’a incité à me construire dans un tel comportement. Personne ne cherche la souffrance! Pourtant, il y a des souffrances que j’aurais pu éviter si j’avais eu conscience de certaines blessures qui me viennent de mon histoire de vie.
Dans le quotidien de nos vies, la blessure nous tend un piège. Elle ne nous rassemble pas toujours pour les bonnes raisons. C’est une des premières prises de conscience que fera le pèlerin. Il arrive souvent que dans l’ajustement de nos blessures, nous entretenions, mutuellement et inconsciemment, nos souffrances. On se complète à travers la douleur, souvent à bon escient, malheureusement parfois aussi, on s’y meurtri davantage. Inconsciemment, je cherche celui, celle, qui me fera souffrir; qui entretiendra cette manière d’être en relation que j’ai développée pour compenser mes blessures. Comme s’il me convenait d’avoir quelqu’un dans mon entourage qui saura mettre le doigt sur le bobo et peser juste assez fort pour me faire réagir.
Celui ou celle qui a une mauvaise estime trouvera la personne qui saura maintenir sa posture de mal-aimé. Celui ou celle qui a été élevé dans la critique, et qui en a souffert, trouvera facile de se coller à une telle personne pour la critiquer en toute aisance. Celui, celle qui a de la difficulté à assumer ses responsabilités trouvera la personne qui le prendra en main. Celui, celle qui a besoin de se sentir utile et se sent responsable de tout, se fera un plaisir de « venir en aide » à cette personne. Deux personnes en manque d’amour se trouveront aisément, puisqu’elles cherchent toutes les deux ce que l’autre ne peut pas leur offrir. Inconsciemment, ma blessure cherche à être entretenue.
Comment se sortir de cette impasse? D’abord prendre conscience de ce rapport à l’autre. Tant que ma blessure demeure inconsciente, je cherche ce qui lui répond et la maintient. C’est ma zone de confort. Je me reconnais dans ces moments. Ma réaction me rassure. Je suis en terrain de connaissance. Mais est-ce le chemin que je veux suivre? Méfions-nous de ces situations qui nous blessent, nous agressent, et auxquelles nous nous attachons, de ces blessures que nous entretenons. Si souvent on se regroupe pour se faire du bien, il arrive parfois que nos blessures vont si bien ensemble qu’elles se retrouvent pour se faire souffrir. Prendre conscience de ses blessures devient ainsi le premier pas sur le chemin de la libération.
La souffrance n’est pas inutile dans nos vies. Elle possède un langage qui est à la racine de notre humanité et permet d’en baliser la route en vue d’un bien-être. Refuser de voir sa blessure, ce serait comme s’entêter à suivre les X rouges sur le chemin de Compostelle : ça ne ferait que nous éloigner davantage de ce que nous recherchons.
Si le pèlerin se met en route, c’est pour traverser sa souffrance, la regarder en face et s’en libérer. S’il se met en route, c’est pour se mettre à l’écoute de son sanctuaire intérieur et atteindre cet espace de plénitude.
Éric Laliberté
Excellent ! Quelle bonne lecture du samedi matin!