S’autoriser à se faire du bien…
Les maladies que l’on cache sont les plus difficiles à soigner.
Proverbe chinois
Quand on ne sait plus ce qu’on aime. Quand on a l’impression de ne plus savoir ce qui nous fait plaisir et que tout fout le camp. Quand on a l’impression que la vie n’a plus de goût et que même se lever le matin est devenu une corvée. Quand le cœur n’y est plus et que tout nous demande un effort, c’est probablement que nous sommes en dérapage. Dans ces moments, s’autoriser à se faire du bien n’est pas si simple que cela. On a l’impression que tous nos repères ont disparu, qu’on ne se connait plus…
Le signe avant-coureur de cet état est bien souvent le sentiment de ne plus être sur la bonne route. Pour le pèlerin, c’est le sentiment d’avoir manqué une flèche au dernier croisement…
Sans se rendre compte, nous nous sommes lancés tête baissée. Nous avons foncé sans poser de questions, sans remarquer quoi que ce soit. La voie semblait toute tracée et pointer dans cette direction. Pourtant, ce n’était pas le bon chemin…
« En relevant la tête, alors que j’entrais dans le village, je me suis approché de la fontaine pour m’y asseoir et refaire le plein d’eau. Ce soleil de plomb me cuisait depuis des heures et me donnait soif.
Assis sur la margelle, dégoulinant de sueur, j’observais la place sans trop penser; mon corps était trop fatigué et il aspirait déjà au prochain albergue.
D’une main lasse j’épongeais la sueur sur ma nuque, pendant que mes yeux fouillaient la foule. Inconsciemment, ils cherchaient quelque chose : un repère, une indication, une flèche… Pourtant, rien ne venait rassurer ma halte. Les gens qui m’entouraient n’étaient pas ceux auxquels je m’attendais. Ils ne portaient pas de sacs à dos, ni bâtons de marche, ni chapeaux ridicules. Après quelques minutes à promener mon regard sur la place, j’ai repris mon sac et mes bâtons, décidant de risquer quelques pas de plus dans cette direction.
On met parfois beaucoup de temps à réaliser qu’on fait fausse route…
Dans la vie aussi.
Au départ, je poursuivais bien quelque chose, mais ici : je ne le sentais plus. Il me semblait l’avoir perdu de vue. Plus rien ne me parlait de ce qui m’avait mis en route. J’eus soudainement l’impression de m’enfoncer. Que chacun de mes pas devenaient plus lourds et demandaient plus d’effort. Remarquez, plus on s’enfonce, plus on s’isole et même les plus beaux paysages perdent de leur enchantement.
Dans la vie aussi. »
Parfois, on préfère s’illusionner sur la direction que nous avons prise pour ne pas toucher certaines souffrances; pour ne pas revenir en arrière, on préfère s’anesthésier de mille et une façons. On en vient alors à se faire du mal, en croyant se faire du bien.
La beauté du chemin de pèlerinage c’est qu’une fois parvenu à ce point, bien que nous soyons découragés, la solution devient évidente. Il n’y a pas d’autre choix et nous n’hésiterons pas : nous allons virer de bord! Ce n’est pas le bon chemin! C’est simple, non?
Dans la vie pourtant, il en va souvent autrement. Nous faisons preuve d’entêtement et d’obstination. Nous résistons avec force…
Plusieurs pèlerins diront : « C’est tellement plus simple sur le chemin! » Pourtant, ce n’est pas tellement le voyage qui fait la beauté du pèlerinage, comme l’état dans lequel se met le pèlerin pour le vivre. Le pèlerinage fait du bien parce que le pèlerin s’ouvre au bien-être. Il se dispose à cette attention quotidienne qui goûte chaque moment. Le pèlerinage est une disposition du cœur. Et s’autoriser à se faire du bien commence par cette prise de conscience : suis-je sur la bonne route? Poser la question, c’est déjà y répondre. Le principal comme pèlerin c’est d’en prendre conscience et de retourner sur sa route; se rappeler les repères qui orientaient notre marche.
Le pèlerin avance à tâtons, au « pif » comme qui dirait. Il fait confiance à quelques repères placés ici et là : un alignement de pierres, une flèche, un coquillage. Des repères qui seront signifiants pour lui, pas pour tout le monde. Le laitier et le boulanger n’ont pas à suivre les flèches jaunes, ce n’est pas leur chemin à eux. Chacun a ses repères, suffit d’apprendre à les reconnaître.
Dans notre quotidien cependant, il n’y a pas de flèches jaunes. Il n’y a qu’un ressenti pour nous guider, un ressenti qui est inscrit dans tout notre corps. En nous, c’est toute l’expérience du chemin quotidien qui vibre en résonance avec le sanctuaire qui nous interpelle dans notre être en marche.
Au début de sa route, de sa vie, le pèlerin se met en marche vers un sanctuaire bien concret. Il a besoin d’un signe tangible pour orienter sa marche : études, carrière, milieu de vie, habitat, relations, réussites, etc. Seulement, tôt ou tard, cette figure objectivable ne le satisfait plus et elle devra mourir pour que puisse naître « Le Sanctuaire », cet espace en soi qui relève davantage d’un état insaisissable, d’une posture de confiance, d’espérance, que de la destination.
Les signes de ce sanctuaire sont inscrits dans la chair du pèlerin. Ils sont inscrits dans l’expérience sensible de son humanité et le pèlerin est le seul à être capable d’en décoder le sens. Ce sont ses flèches jaunes à lui, celles qui donnent sens à sa vie. Celles qui le mettent en mouvement, qui le tirent en avant, lui donne un goût de meilleur.
S’autoriser à se faire du bien, quand on ne sait plus ce qu’on aime, demande un retour en arrière, de rebrousser chemin. Dans ce mouvement, je pourrai reprendre contact avec ces expériences marquantes qui ont laissé des traces de bon goût dans ma vie. En revisitant ces moments, c’est toute une expérience sensible que je me réapproprie. C’est la possibilité d’une prise de contact avec des émotions oubliées qui peuvent dénouer l’impasse de mon présent. Rien n’est banal dans ce cas-ci! Tout mérite de s’y arrêter : le bon goût du chocolat chaud d’une grand-mère attentionnée, la balade en voiture du dimanche, l’odeur d’une maison, un vieux refrain, tout…
S’autoriser à se faire du bien, c’est marcher dans la clairvoyance de sa voie. C’est le chemin de la simplicité. Contrairement à tout ce qu’on a pu nous laisser croire ça ne demande pas d’efforts, mais de l’attention! De l’attention pour soi.
Éric Laliberté