Ma vie comme une longue route.
S’ancrer dans la réalité, c’est croire par les pieds.
Bottes et Vélo
On se laisse souvent prendre par un rythme de vie qui nous bouscule, nous précipite et nous fait perdre de vue ce qui nous anime. On perd de vue la réalité de la vie, de sa vie, et son goût en devient amoindri. Une manière de vivre qui nous sert pourtant de norme et que nous définissons comme la « normalité ». Au milieu de tout ce brouhaha, de tous ces standards de vie orientés, de toutes ces exigences de rythme, de performance et de production, de tous ces conditionnements : est-ce véritablement la « normalité » à laquelle nous aspirons?
Sans se rendre compte, nous nous soumettons inconsciemment à des règles et des obligations qui viennent ordonner notre vie et qui n’ont pourtant rien de réel : travailler 5 jours par semaine, prendre plaisir au magasinage, faire le ménage tel jour, s’obliger à un rythme de production au travail, manger à telle heure, sortir le samedi soir, fréquenter le gym, porter tel type de vêtement pour telle occasion, avoir différents couverts pour les repas, posséder telle marque de voiture, un statut social, des mondanités, un niveau d’études, devoir de faire ceci ou cela… Toutes ces règles, tous ces codes de vie que nous prenons au sérieux à différents niveaux, n’ont rien de réel et pourtant nous angoissons à l’idée de ne pas y correspondre!
Notre manière de vivre relève d’une véritable psychose sociale. La psychose fait perdre contact avec la réalité. Coupé du réel, nous entretenons mutuellement un mode de vie illusoire sans remettre quoi que ce soit en question, préservant ainsi une manière de vivre malsaine. Charles Bukowski écrivait dans son journal : « Comment diable un homme peut-il se réjouir d’être réveillé à 6h30 du matin par une alarme, bondir hors de son lit, avaler sans plaisir une tartine, chier, pisser, se brosser les dents et les cheveux, se débattre dans le trafic pour trouver une place, où essentiellement il produit du fric pour quelqu’un d’autre, qui en plus lui demande d’être reconnaissant pour cette opportunité? » Vision amère de la réalité que portait Bukowski… Cependant, nous avons tous à un moment ou l’autre cet éclair de lucidité. Pourquoi l’écartons-nous toujours du revers de la main? Peut-être avons-nous peur d’y voir la profondeur de notre éloignement? Éloignement de ce qui nous habite profondément…
Qu’elle est la véritable nature humaine? À quoi sommes-nous appelés? Quel devrait être la norme qui balise ma route? Y a-t-il réellement une normalité uniforme à respecter?
Pour entrer dans ce questionnement, je vous propose un chemin tout simple : s’arrêter. Arrêter de s’agiter pour correspondre à des standards, reprendre contact avec le réel et goûter dans l’instant ce que nous ressentons. Dégager son espace-temps de l’illusoire qui nous attire dans son tourbillon chaque jour, qui nous fait croire que nous sommes indispensables et qui nous agite dans tous les sens pour correspondre à ces exigences que nous avons inventées. La réalité de la vie est toute simple. Et c’est très certainement cette manière de l’aborder, dans toute sa simplicité, qui éveille et bouleverse le pèlerin des longs chemins…
Pour s’ancrer dans la réalité, mon esprit doit se résoudre à prendre le temps. Vitesse et art de vivre ne font pas bon ménage. Chaque instant de ma vie est une expérience qui s’inscrit dans mon corps. Ce que je ressens, ce qui passe par mes sens, me parle de la réalité, de ma façon de la contacter. Voilà une norme qui devrait me parler, me révéler quelque chose de signifiant.
Être attentif aux signaux envoyés par nos cinq sens est notre première antenne pour syntoniser la réalité et orienter le bien-être que procure cette attention. Lorsque je suis attentif à ce que je ressens dans mon corps, je prends le temps de savourer et je suis plus à même de contacter les émotions qui m’habitent. Cette attention me permet de prendre conscience de ce qui me pousse à une certaine action ou réaction.
Étant en contact avec mon corps, je suis plus attentif aux émotions que je ressens et donnent goût à ce que j’expérimente dans l’instant présent. Cette présence d’esprit me renvoie aussi à d’autres expériences qui appartiennent à mon histoire de vie. Inconsciemment, ces liens viennent influencer ma manière de percevoir, de recevoir, ce que je suis en train de vivre. Aiguiser sa conscience à ces liens qui se tissent et nous rendent attentif à ce qui se joue en nous, devient un atout majeur pour vivre en qualité.
Délivré de la « normalité », le pèlerin de long chemin, de par sa longue marche, jour après jour, aiguise son attention. Il devient plus présent à ce qu’il ressent : les sons, les paysages, les odeurs, les douleurs, le bien-être, les relations, toutes les sensations éprouvées dans son corps prennent du relief. Ce senti devient soudainement omniprésent et le pèlerin découvre, à travers cette attention, une précieuse alliée dans l’expérience de sa longue marche : elle le guide dans chacun de ses pas! C’est par cette attention que je sais ce qui est bon pour moi, que je prends la bonne décision, fait le bon choix. Plus j’y deviens présent, plus j’apprécie mon chemin.
Notre vie est une longue marche. Pourquoi ne pas en chercher l’expression naturelle et cohérente à travers ce que nous sommes? Notre corps est le véhicule de notre expression vivante. Il nous fournit tous les signaux pour bien vivre notre vie. Si nous lui accordons l’attention qu’il mérite, il nous guidera avec bienveillance sur le chemin de la vie.
Éric Laliberté