Le pèlerin, comme un fromage!
Celui qui accepte son vide peut remplir sa vie.
Catherine Enjolet
Le pèlerin vieillit bien au cœur de son expérience pèlerine. Comme un fromage il mûrit, se raffine et prend du goût. En ce sens, on aurait tout aussi bien pu dire que le pèlerin est comme un bon vin. Et il aurait été facile de faire cette comparaison, car on sait tous que l’un comme l’autre coulent à flot sur le camino! Le bon pèlerin, tout comme le bon vin, afflue sous le champ d’étoiles. Seulement, ce n’est pas là où je veux en venir. Le pèlerin qui vieillit bien est comme un fromage, c’est-à-dire : plein de trous!
Savez-vous que c’est l’emmental qui offre la plus grosse meule? Jusqu’à 100kg! C’est énorme! De par sa taille, c’est aussi celui qui possède les plus gros trous. L’emmental est, de tous les fromages, celui qui possède le plus grand vide à l’intérieur de lui. Et savez-vous ce qu’on dit? Que ce sont ces trous qui lui donnent si bon goût!
Ah! Nous y voilà! Maintenant, nous avons matière à réflexion. N’est-ce pas merveilleux? C’est par ce vide en lui que l’emmental prend de la saveur. C’est dans l’absence qu’il fabrique son bon goût… Intéressant!
Ce vide, ce passage par le vide, n’est-ce pas l’expérience première du pèlerin? Vider son sac-à-dos de ses excès. Vider sa tête de toutes ses préoccupations qui le retiennent, encore et malgré lui, à la maison. Se défaire de ses inquiétudes, de ses idées de performances, de ses qu’en dira-t-on…
Dès les premiers jours de sa longue randonnée, le pèlerin apprend à faire le vide pour redonner de la saveur à sa vie. Tout s’aligne avec aisance; parfois, aussi, avec résistance. Mais, si nous résistons, l’expérience devient souffrante et, son signal, de plus en plus intense jusqu’à ce que nous lâchions prise. Une fois parvenue-là, à cet instant de décisif du lâcher-prise, nous avons bien dix jours de marche dans le corps…
Ces fameux dix jours! Étape charnière sur le chemin du pèlerin, étape où il entre librement dans l’expérience du pèlerinage, étape où il entre dans ses profondeurs. Et qu’est-ce que la profondeur, sinon un grand vide?
Le pèlerin, parvenu à cette étape, goûte enfin cet espace dans lequel il se sent respirer librement. Il touche cet état d’aisance physique, psychique et spirituelle qu’il n’expérimente que très rarement dans son quotidien. Plus près de son corps, de ses sens, de ses émotions, plus près de ce qui donne bon goût à sa vie, de ce qui lui donne un sens. Il se sent léger, beaucoup plus léger…
Au fil des jours qui suivent, le pèlerin de longue randonnée apprend et goûte avec délectation le plaisir de l’espace retrouvé. Parmi les leçons qui le feront cheminer, il en est une que le pèlerin assimilera d’une manière quasi toute naturelle sur le chemin : l’agenda du pèlerin est parsemé de gros trous, de grands vides et ce sont eux qui donnent saveur à chacune de ses journées.
C’est par le vide de mon agenda que je me sens respirer.
C’est par le vide que ma vie goûte bon. Se goinfré n’a jamais été preuve de bon goût.
Ma vie dépend du vide, du temps que je libère, de l’espace-temps que je m’octroie.
Pour que la vie vive, elle a besoin de temps et d’espace pour circuler et grandir.
Tout comme la flûte, la guitare, ou le violon,
c’est par le vide en eux qu’ils offrent leur musique.
Aucune fleur ne peut grandir enfermé sous un bocal, elle a besoin d’espace.
Aucune fleur ne grandira plus vite parce que je lui tire dessus, elle a besoin de temps.
De même que le poisson rouge sera de la grosseur de l’aquarium dans lequel nous l’aurons plongé, la Vie a besoin d’espace et de temps pour s’épanouir.
Notre mode de vie valorise depuis très longtemps une agitation excessive. Les plus occupés, les plus actifs sont souvent les mieux perçus. Celui, celle, qui prend son temps passera souvent pour un paresseux. Pourtant, l’art de l’oisiveté a permis de faire naître de belles et grandes choses. N’est-ce pas en dormant sous un arbre qu’Isaac Newton reçu cette pomme sur la tête qui fit faire un bond à notre compréhension des lois de la physique?
Depuis mon retour de pèlerinage, ma vie me semble souvent précipitée. Qu’ai-je retenu de cette expérience qui m’a bouleversée? Ai-je pris le temps d’en tirer quelques leçons? Ai-je pris le temps de revoir ma manière de gérer mon temps?
Le temps du pèlerin n’est pas celui de la performance.
De plus en plus de psychologues remettent en question cette manière d’alourdir l’agenda de nos enfants en les inscrivant dans tout et partout. Ils doivent jouer de la musique, parler trois langues et savoir lire et écrire, tout cela avant 5 ans! Suis-je réellement en train d’offrir la Vie à mon enfant lorsque je me comporte ainsi avec lui? Suis-je réellement en train de m’offrir la Vie lorsque je comble tous les trous de mon agenda?
Dans notre pèlerinage, nous avons expérimenté le bon goût de la Vie en apprenant à aimer et choisir la Vie avant toute chose. Nous avons développé notre être « biophile », amoureux de la Vie. Nous avons appris que cet amour de la Vie passe par un « prendre le temps, un « prendre plaisir », un « prendre soin » de soi, des autres, de ce qui nous entoure, qu’il par une « ouverture à l’autre et à l’autrement ». Des moments et des temps qui demandent de faire de l’espace dans nos vies.
L’expérience du pèlerinage de longue randonnée nous enseigne à laisser des trous immenses dans nos vies pour que la Vie puisse y jaillir dans toute sa saveur. Rappelons-nous que c’est l’espace-temps dégagé dans notre vie qui, à la base, nous a permis de vivre l’expérience du pèlerinage. Sans dégager ce temps et cet espace, je ne quitte pas mon travail et mon quotidien pour entrer en pèlerinage…
C’est pourquoi le pèlerin revient de pèlerinage comme un bon fromage : plein d’espace en lui, plein de goût, plein du bon goût de la Vie! Et c’est très certainement cet espace qui lui manque le plus à son retour. Ne perdons donc pas ce sens, ou retrouvons-le, et laissons notre être biophile s’exprimer dans tous nos choix. C’est-à-dire aimer et agir, en priorité, avec la Vie.
Éric Laliberté
Merci Éric pour ce beau partage…je viens de faire une première lecture et je suis dans « ma bulle retrouvée ». C’est sûr que je vais prendre le temps de relire et relire ce cadeau., mais je tenais à mettre noir sur blanc ce premier « Ouahhh…que c’est bon…merci!!! »
Merci Michel! Bien heureux de participer au sourire de tes bottines. 🙂
Éric