Choisir d’être heureux
C’est dans le mouvement que le pèlerin se libère du fardeau et du poids écrasant des chaînes de sa vie sédentaire,
et c’est dans la liberté de choisir qu’il se définit et apprend à connaître celui qu’il est vraiment.
Bottes et Vélo
Au retour de Compostelle, le pèlerin, celui qui a voyagé à pied durant près d’un mois, se retrouve à nouveau plongé dans sa vie d’avant. À peine le seuil de la porte passé, et déjà l’aventure du dernier mois lui semble n’avoir été qu’un rêve. La réalité reprend graduellement sa place et engloutit lentement le pèlerin, l’aspirant dans le tourbillon du quotidien et des obligations. Un profond questionnement accompagné d’une certaine nostalgie s’amorce dans les pensées du pèlerin. Qu’est-ce qui lui rendait la route si agréable? Comment continuer de ressentir ce bien-être intérieur sans se déraciner de sa route de vie?
Plusieurs disent qu’il leur est impossible de reproduire les bienfaits du pèlerinage dans leur vie quotidienne, car le contexte ne le leur permet pas. C’est certain, si on considère que la magie du bonheur sur le chemin de Compostelle émane des églises romanes, des chemins de terre, du soleil d’Espagne, du nomadisme et des échanges avec des pèlerins de toutes les nationalités. Et bien que ces éléments contribuent à rendre la route mémorable, ils ne sont pas exclusifs à Compostelle. L’ingrédient essentiel du pèlerinage se trouve sur le chemin intérieur que fait le pèlerin. Le bien-être de ce voyage émane du dedans et rayonne vers l’extérieur. C’est le pèlerin qui en est l’artisan.
Avant de partir, le pèlerin avait déjà commencé son voyage intérieur. En se libérant du temps dans son agenda, en organisant son budget, en se permettant cette longue absence, sans s’en rendre compte, le pèlerin commençait déjà à définir sa propre route de vie. Puis jour après jour, pas après pas, sur le chemin tortueux et pierreux, il cheminait plus encore. Il s’arrêtait pour admirer le paysage grandiose, se délectait interminablement d’un lever de soleil, mangeait aussi fréquemment qu’il avait faim, se couchait pour faire une sieste si le besoin y était. Il apprenait à s’écouter, à se respecter, à se connaître. Il apprenait à choisir de faire ce qui lui fait du bien.
Certains diront qu’il est plus facile de vivre ainsi lorsqu’il n’y a pas de contraintes ni d’obligations. Pourtant sur le chemin, les contraintes et les obligations sont nombreuses. Faire un pèlerinage n’est pas de tout repos! Il faut chaque jour marcher plusieurs kilomètres durant plusieurs heures sur des chemins parfois exigeants, s’assurer d’avoir de l’eau, vivre avec l’imprévu, porter une charge, ne pas avoir tout son confort, et composer avec l’étranger et les ronfleurs! C’est une démarche qui peut être épuisante et décourageante. Mais celui qui choisit d’avancer sur cette route en a aussi choisi les inconvénients. C’est ce choix qui rend la route agréable.
Le plus grand obstacle que le pèlerin rencontre est lui-même. Il est celui qui érige des barrières et s’impose des limites. Au retour de Compostelle, le pèlerin se laisse difficilement la liberté de choisir ce qui lui fera du bien, car il reprend la vie telle qu’il l’avait laissée. Il ne fait pas le transfert de ses apprentissages. Encombré de tout ce qu’il s’est imposé depuis des années, il n’ose pas changer sa façon de faire, ni sa façon d’être. La pression sociale, la pression familiale, la pression personnelle ont tant de pouvoir qu’elles dirigent et déterminent le chemin de vie du pèlerin. « Il faut beaucoup de courage pour oser être heureux pleinement. Il est plus facile, mais plus lâche, de se contenter d’un petit bonheur routinier que rien ne vient déranger » (Marcelle Bourgault).
La réelle difficulté du pèlerin est qu’il a cheminé dans un monde parallèle au sien pendant une longue durée. L’expérience marquante et grandissante du pèlerinage l’a transformé. À son retour, il n’est plus la même personne, mais tout ce qui l’entoure est demeuré inchangé. Le pèlerin fait face à un grand défi, surtout si sa zone de confort n’est plus si confortable. S’il veut vivre plutôt que survivre, décider plutôt que subir, il doit faire des choix qui tiennent compte de ses besoins ou de ses désirs en fonction de ce qu’il ressent. Le corps est souvent un bon conseiller! À toute situation existe un choix de possibles. Il s’agit de les considérer tous et de déterminer celui qui répondra avec satisfaction à ses attentes, celui qui contribuera à demeurer et à avancer sur le chemin de la vie que le pèlerin souhaite réaliser. Avant toute décision : prendre le temps de ressentir l’émotion que ce choix fait vibrer en moi. Puis une fois le choix fait : accepter les inconvénients qui viendront avec cette décision. Et, comme sur le chemin de Compostelle, le pèlerin échange et ajuste son rythme à celui de ceux avec lesquels il veut marcher; le pèlerin choisit ceux qui l’entourent et prend le temps de présenter celui qu’il est maintenant et la trajectoire qu’il désire donner à sa vie.
Le retour de Compostelle n’est pas facile à vivre car le pèlerin est confronté à lui-même : celui qu’il était, celui qu’il est et celui qu’il est en devenir. La porte d’entrée de la maison franchie, c’est un nouveau pèlerinage qui débute. Celui dans lequel le pèlerin tracera lui-même les flèches qui le mèneront à son sanctuaire, ce sanctuaire qu’il porte en lui et qui l’invite à faire des choix pour un mieux-être.
Brigitte Harouni