Le sanctuaire, cette part négligée du pèlerinage.
Si tu dois vivre parmi le tumulte, ne lui livre jamais ton corps. Garde ton âme calme et retirée.
C’est un sanctuaire où tu trouveras, quand tu le voudras,le bonheur.
Alexandra David-Néel
On a souvent entendu l’expression : « Ce n’est pas le pèlerin qui fait le chemin, mais le chemin qui fait le pèlerin! » À la lueur des récits de pèlerinages, pèlerin et chemin semblent former un duo qui dessine une relation beaucoup plus profonde qu’il ne le paraît. Une relation presque romantique, avec ses joies, ses crises et ses peines. Dans presque tous les récits de pèlerins le chemin semble prendre vie et devenir compagnon de voyage. Plus qu’un compagnon même, à certains moments il devient un maître…
Le chemin enseigne le pèlerin. Il le réconforte, le console, mais parfois… le malmène et le bouscule aussi. Le chemin met le pèlerin à l’épreuve, le poussant parfois jusque dans ses retranchements. Il l’ébranle jusque dans ses convictions, l’amenant à reconsidérer sa vision du monde et de la vie, à la reformuler. À travers lui, le pèlerin se découvre une force et une capacité de résilience qu’il ne se connaissait pas. Il se découvre un goût nouveau pour la vie, une manière différente de l’apprécier et de la savourer. Le chemin se fait alors rassurant, mettant sur le passage du pèlerin ce dont il a besoin au moment qui convient.
À travers le chemin le pèlerin apprend la confiance, le lâcher prise, l’abandon. « À chaque jour suffit sa peine! », nous enseigne le dicton. Le chemin, lui, nous le fait éprouver dans tout notre corps. Mais il nous apprend aussi qu’il n’y a nul besoin de s’inquiéter pour demain! Le chemin est bienveillant. Il me mène au premier café, à la première fontaine. Il m’offre un banc dans ce parc, de l’ombre au pied d’un marronnier pour me reposer. À l’entrée de ce village, il aura ce sourire accueillant. Dans mes moments de découragements, il me tendra la main et se fera rassurant.
Tout au long de cette route, parfois pavée, parfois rocailleuse, parfois sinueuse, le pèlerin se découvre, s’apprend, s’approfondit en relation avec le « chemin ». On oublie souvent cependant de quoi est fait ce « chemin ». Le chemin, comme dirait le sage, n’est que le doigt qui pointe vers la lune. Celui qui montre la direction. L’horizon du pèlerinage est beaucoup plus large. Le limiter au seul chemin serait en restreindre l’expérience.
Pèlerin et chemin ne sont rien s’ils ne vont nulle part, ce ne seraient plus que de l’errance. C’est donc d’une évidence limpide : on se met en route pour aller quelque part! Le chemin n’est pas seul garant de la qualité de cette expérience inoubliable, la direction ou l’orientation qui l’anime aussi. Se rendre au village de notre enfance pour des retrouvailles entre amis, rendra le chemin fort différent que de s’y rendre pour des funérailles… L’intention que porte notre voyage change tout, même notre rapport au chemin.
En ce qui a trait au pèlerinage, la situation est à peu près la même, mais n’est pas aussi claire cependant. À l’origine, et par définition, le pèlerinage désignait un pèlerin qui prenait la route pour se rendre dans un sanctuaire. C’est le sanctuaire qui interpelait le pèlerin et le chemin devenait le meilleur moyen pour s’y rendre. Aujourd’hui, il en va de même, seulement, il arrive que l’on confonde moyen avec finalité et que le pèlerin se sente plus interpelé par le chemin. Trop concentré, ou trop heureux de vivre le chemin, nous oublions qu’il a un but, une destination. Nous oublions que le pèlerinage s’articule entre pèlerin, chemin et sanctuaire, et que c’est dans cette articulation qu’il prend toute sa signification.
Dès l’instant où je commence à formuler le projet d’un pèlerinage, commence à se dessiner en moi l’horizon de ma quête : le sanctuaire. Je dis bien commence, car cet horizon sera appelé à se définir tout au long de mon chemin. Il ne faut pas oublier que ce qui met le pèlerin en route n’est pas seulement le plaisir de la randonnée sinon ce n’est plus du pèlerinage. Le pèlerinage a une fonction et le pèlerin voit dans celle-ci un exercice spirituel qui lui permette d’approfondir un moment charnière de sa vie. Le pèlerin se met en route éveillé par une remise en question, ou un malaise/mal-être, lui indiquant qu’il aspire à un meilleur. Un meilleur qu’il ne peut pas encore nommer, il en a une petite idée, mais qu’il apprendra à formuler en cours de route… sur le chemin.
Le sanctuaire qui pointe donc à l’horizon de notre chemin de pèlerin est celui-là même qui nous met en route. Il est le moteur de notre pèlerinage. C’est lui qui nous entraîne hors de nos sentiers battus. Le sanctuaire désigne un espace de sanctification et sanctification renvoie à ce qui est bon. Le sanctuaire appelle donc ce qu’il y a de meilleur en chacun de nous. Il nous invite à le laisser jaillir en nous sortant de nos enfermements.
En acceptant de quitter ma demeure, mon chez-moi, mes routines, mes idées toutes faites, le sanctuaire m’invite à l’ouverture. Il m’invite à revoir le contenu mon sac de vie, à me défaire de mon trop-plein, à me libérer de mes attachements, pour voir la vérité de ce qui m’habite et parvenir, enfin, à la nommer. Le sanctuaire est le point d’horizon et le point d’intériorisation du pèlerin. Tout au long de sa marche, le pèlerin sera appelé à formuler et reformuler ce sanctuaire à travers l’expérience du chemin. À mettre des mots sur sa quête.
Le chemin est fait de mille choses, de milles rencontres, qui interpellent le pèlerin dans sa longue marche. C’est à travers elles que se dessine le sanctuaire et qu’il prend forme; que le pèlerin parvient à nommer le sanctuaire qui l’habite. Chemin et sanctuaire travaillent de concert pour libérer le meilleur en chacun de nous.
Éric Laliberté